mercredi 8 avril 2009

Ombre de la mémoire

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L'anthologie est un format qui convient particulièrement bien à la poésie. Elle permet de découvrir à peu de frais divers textes, parfois mal, voire pas du tout publiés, issus d'un cadre géographique et temporel bien défini. Il convient bien évidemment de faire confiance au passeur qui orchestre l'anthologie et d'admettre que la lecture d'un fragment ne rend pas toujours compte de la richesse d'une œuvre.
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Si beaucoup de pays occidentaux ont déjà bénéficié d'entreprises éditoriales de ce type, la poésie de nombreuses régions à l'histoire culturelle pourtant foisonnante reste encore peu connue du public français. Un bel effort vient d'être accompli avec la publication d'Ombre de la mémoire. Anthologie de la poésie hispano-américaine aux éditions Gallimard. Cette anthologie éditée et préfacée par Philippe Ollé-Laprune (qui nous avait déjà offert Cent ans de littérature mexicaine aux éditions de La Différence) présente des textes de 70 poètes hispano-américains écrits entre le début du 20e siècle et nos jours. On y croise des géants tels qu'Octavio Paz, Borges ou Pablo Neruda, mais aussi, et c'est là l'atout principal de l'ouvrage, des écrivains nettement moins connus. J'ai ainsi pu découvrir le Péruvien surréaliste César Moro selon lequel "L'art commence là où finit la tranquillité" ou le Chilien Raul Zurita, dont les performances poétiques ont pu aller jusqu'à l'automutilation.
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Dans sa préface, Ollé-Laprune justifie sa volonté de rassembler tous ces auteurs de nationalités différentes par la constatation d'une "avancée commune de la parole poétique", conditionnée par l'Histoire et l'usage d'une même langue. L'irruption de la littérature moderne, la façon dont les poètes ont pu digérer cette dernière et éventuellement l'associer à des usages et thèmes locaux constituent autant de perspectives intéressantes visant à cibler leur originalité.
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On peut évidemment regretter l'absence de bibliographie, notices, notes et biographies détaillées des auteurs, mais l'entreprise offre suffisamment de pépites pour passer outre ce désagrément (à ce propos, les Anthologies bilingues parues dans la Bibliothèque de la Pléiade sont exemplaires). Je reproduis ici le texte Note de rue de l'argentin Oliverio Girondo :
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"A la terrasse d'un café il y a une famille grise. Passent des seins qui louchent et cherchent un sourire sur les tables. Le bruit des voitures fait déteindre les feuilles des arbres. A un cinquième étage, quelqu'un se crucifie en ouvrant grand une fenêtre.
Je réfléchis à l'endroit où je conserverai les kiosques, les réverbères, les passants qui pénètrent dans mes pupilles. Je me sens tellement plein que j'ai peur d'exploser... Il me faudrait lâcher un peu de lest sur le chemin...
En arrivant à un coin de rue, mon ombre se sépare de moi, et soudain, se jette sous les roues d'un tramway.
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