mercredi 29 avril 2009

Le dernier portrait

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Man Ray, Proust sur son lit de mort, 1922, Paris, Musée d'Orsay.
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Je repense ce matin à la magnifique exposition Le dernier portrait, que j'avais visitée un peu par hasard en 2002 au Musée d'Orsay. Prendre en photo ou peindre le défunt était une pratique courante jusqu'au milieu du 20e siècle. Normalement réservée au cadre familial, la diffusion de ces effigies a parfois été large, par exemple lors de la mort de Napoléon ou de Victor Hugo. Ces images interpellent car, ces dernières décennies en Occident, le contact avec la mort s'est institutionnalisé et hygiénisé. On assiste de moins en moins souvent à l'exposition du défunt à son domicile. D'ailleurs, le plus souvent, les mourrants ne fréquentent même plus les vivants, relégués qu'ils sont aux hôpitaux et chambres des maisons de repos. Cette perte de contact, au moins visuel, avec une des réalités les plus concrètes de notre existence n'est certainement pas sans conséquence, notamment sur la façon dont le deuil est vécu et dont le souvenir du défunt se constitue.
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Rufus Anson, Vieille femme sur son lit de mort, vers 1850, Paris, Musée d'Orsay.
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Ces images de défunts émeuvent et troublent par l'intimité limite qu'elles laissent entrevoir. Ainsi, sur certaines photographies, des enfants décédés sont présentés assis avec leurs habits du dimanche, comme s'ils n'allaient par tarder à se lever et suivre leurs parents à la messe. Cette volonté de "scénarisation" est parfois transcendée par certains artistes que le chagrin conduit à vouloir garder une trace inoubliable de leur proche disparu. C'est sans aucun doute le cas de Claude Monet avec le portrait de sa femme Camille sur son lit de mort en 1879. Le catalogue de l'exposition est toujours disponible.
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Claude Monet, Camille sur son lit de mort, 1879, Paris, Musée d'Orsay.
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lundi 27 avril 2009

Les empires pourrissent


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Viatique et piste de lecture : La marche de Radetzky de Joseph Roth (1932).
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vendredi 17 avril 2009

The Rest is Noise

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J'apprends avec joie que l'essai The Rest is Noise. Listening to the Twentieth Century d'Alex Ross est en cours de traduction et devrait sortir chez Actes Sud. Cet ouvrage a fait grand bruit lors de sa sortie en 2007 dans le monde anglo-saxon et a fait gagner à son auteur le National Book Critics Circle Award en 2007 et le Guardian First Book Award en 2008. Alex Ross, qui est en outre critique musical pour le New Yorker, a également été finaliste pour le Pulitzer Prize.
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Le propos de ce livre passionnant est de tenter d'approcher la musique moderne du 20e siècle dans sa globalité et dans les rapports qu'elle entretient avec le contexte historique dont elle est issue. Le cadre politique est fréquemment convoqué afin de comprendre l'évolution des genres musicaux abordés. Par exemple, les liens de Strauss et de Chostakovitch avec le régime nazi pour le premier et le soviétique pour le second sont envisagés afin de cerner leur œuvre. Si l'approche d'Alex Ross se veut chronologique, elle n'est pourtant pas exhaustive, l'auteur s'autorisant des approfondissements de sujets qui lui tiennent à cœur, notamment la carrière du Finlandais Sibélius. Parmi d'autres leitmotivs privilégiés par Ross, on peut citer les jeux d'influences existant entre musiques populaire et savante. Bref, il s'agit d'une synthèse accessible aux non musicologues très stimulante et qui sans aucun doute, donne l'envie de se plonger dans des musiques considérées souvent comme hermétiques.
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A ce propos, en discutant de ce livre, un ami me révèle l'existence d'un blog nommé Musica del siglo XX et dont l'objectif est d'offrir l'opportunité au curieux de découvrir les musiques décortiquées dans l'ouvrage d'Alex Ross. Le sous-titre du blog est d'ailleurs el resto es ruido, comme le titre de ce dernier. On y trouve des enregistrements de qualité de dizaines d'oeuvres de Ligeti, Messiaen, Bartok et de beaucoup d'autres moins connus.
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Sur ce site très complet, on trouve des articles, le blog et des informations sur l'ouvrage d'Alex Ross.
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lundi 13 avril 2009

Très très fort

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Le groupe Staff Benda Bilili a été découvert par Florent de la Tullaye et Renaud Barret lors d'un séjour à Kinshasa. Depuis, ils suivent les membres du groupe et préparent un film qui leur est exclusivement consacré. Leur album Très très fort vient d'être édité par le label belge Crammed qui avait déjà révélé les excellents Konono n°1 et Kasaï All Stars.
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Staff Benda Bilili est un orchestre de paraplégiques sans domicile fixe vivant et jouant de la musique dans les jardins du zoo de Kinshasa. Leurs morceaux présentent des éléments de rumba, de funk, d'afro-beat et de musiques traditionnelles. Au-delà du folklore que contient la légende du groupe (voir leur histoire en détail sur le site de Crammed et dans le film à venir), il s'agit d'une musique essentielle, à la fois urbaine, dansante et mélancolique, qui reflète les convulsions d'une société où le miracle musical peut encore naître dans des lieux inattendus. Apparemment, une tournée du groupe en Europe serait envisagée pour les mois à venir...
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mercredi 8 avril 2009

Ombre de la mémoire

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L'anthologie est un format qui convient particulièrement bien à la poésie. Elle permet de découvrir à peu de frais divers textes, parfois mal, voire pas du tout publiés, issus d'un cadre géographique et temporel bien défini. Il convient bien évidemment de faire confiance au passeur qui orchestre l'anthologie et d'admettre que la lecture d'un fragment ne rend pas toujours compte de la richesse d'une œuvre.
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Si beaucoup de pays occidentaux ont déjà bénéficié d'entreprises éditoriales de ce type, la poésie de nombreuses régions à l'histoire culturelle pourtant foisonnante reste encore peu connue du public français. Un bel effort vient d'être accompli avec la publication d'Ombre de la mémoire. Anthologie de la poésie hispano-américaine aux éditions Gallimard. Cette anthologie éditée et préfacée par Philippe Ollé-Laprune (qui nous avait déjà offert Cent ans de littérature mexicaine aux éditions de La Différence) présente des textes de 70 poètes hispano-américains écrits entre le début du 20e siècle et nos jours. On y croise des géants tels qu'Octavio Paz, Borges ou Pablo Neruda, mais aussi, et c'est là l'atout principal de l'ouvrage, des écrivains nettement moins connus. J'ai ainsi pu découvrir le Péruvien surréaliste César Moro selon lequel "L'art commence là où finit la tranquillité" ou le Chilien Raul Zurita, dont les performances poétiques ont pu aller jusqu'à l'automutilation.
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Dans sa préface, Ollé-Laprune justifie sa volonté de rassembler tous ces auteurs de nationalités différentes par la constatation d'une "avancée commune de la parole poétique", conditionnée par l'Histoire et l'usage d'une même langue. L'irruption de la littérature moderne, la façon dont les poètes ont pu digérer cette dernière et éventuellement l'associer à des usages et thèmes locaux constituent autant de perspectives intéressantes visant à cibler leur originalité.
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On peut évidemment regretter l'absence de bibliographie, notices, notes et biographies détaillées des auteurs, mais l'entreprise offre suffisamment de pépites pour passer outre ce désagrément (à ce propos, les Anthologies bilingues parues dans la Bibliothèque de la Pléiade sont exemplaires). Je reproduis ici le texte Note de rue de l'argentin Oliverio Girondo :
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"A la terrasse d'un café il y a une famille grise. Passent des seins qui louchent et cherchent un sourire sur les tables. Le bruit des voitures fait déteindre les feuilles des arbres. A un cinquième étage, quelqu'un se crucifie en ouvrant grand une fenêtre.
Je réfléchis à l'endroit où je conserverai les kiosques, les réverbères, les passants qui pénètrent dans mes pupilles. Je me sens tellement plein que j'ai peur d'exploser... Il me faudrait lâcher un peu de lest sur le chemin...
En arrivant à un coin de rue, mon ombre se sépare de moi, et soudain, se jette sous les roues d'un tramway.
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mardi 7 avril 2009

Volume !

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Un premier album solo et deux concerts à venir me donnent l’occasion de parler du contrebassiste anglais John Edwards. Actif depuis la fin des années 1980, ce musicien à la fois discret et débordant d’activité (il jouerait plus de 200 concerts par an) est vite devenu une figure indispensable des musiques improvisées européennes, collaborant avec Evan Parker, John Butcher, Lol Coxhill ou encore Phil Minton. Il participe également aux rassemblements mensuels du London Improvisers Orchestra.

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Fin de l’année passée, il a sorti son premier album solo Volume (PSI Records). Ce magnifique CD démontre, s’il fallait encore le faire (voir les contributions de Barre Philips, Joëlle Léandre ou John Eckhardt dans ce domaine), la validité de la contrebasse en tant qu’instrument solo. Chaque suite de notes, qu’elles soient créées en pizzicato et/ou frottées à l’archet, montre une maîtrise de propriétés expressives et une implication physique uniques. Le morceau Tunnel alterne ainsi grincements et frottements d’une grande diversité, laissant l’auditeur dans un état d’attention et de tension grandissant.

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Il est difficile d’écouter les dizaines d’albums auxquels John Edwards a participé. Trois pourtant m’ont particulièrement marqué ces derniers temps : A Glancing Blow (Clean Feed Records) avec Evan Parker (saxophone) et Chris Corsano (batterie) (trio époustouflant en live, par exemple lors du dernier Interact au België à Hasselt), Obliquity (Bo’Weavil Recordings) avec Alan Wilkinson (saxophone) et Steve Noble (batterie), Optic (Emanem) avec John Butcher (saxophone) (dont une partie des morceaux a été enregistrée lors d’une performance des deux musiciens à l’Archiduc à Bruxelles en 2001).

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Bientôt, le contrebassiste sera de passage chez nous. Le 24 avril, il jouera en duo avec Peter Jacquemyn, un autre contrebassiste lors d’une soirée ‘New Noise’ où l’on pourra également assister aux performances de deux autres duos (les joueurs de tuba Carl Ludwig Hübsch + Jan Pillaert et les batteurs Ninh Lê Quan + Tony Buck) et d’une pièce de Phil Niblock au Stuk à Leuven.

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Le 8 mai, il se produira également en duo avec le tromboniste Paul Hubweber à l’An vert à Liège.

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