mardi 17 juin 2014

Les sans-noms (5)






En plus d'offrir des disques renversants (il faudra d'ailleurs bientôt y revenir), le label La Nòvia, en s'intéressant à un répertoire qu'on qualifiera de traditionnel faute de mieux, fait découvrir des figures méconnues. Ainsi de La Baracande, groupe issu de la rencontre de Toad et Basile Brémaud autour des chansons de Virginie Granouillet (1878-1962), dite La Baracande. Les origines de ce surnom ne sont pas certaines. La Baracande, ce serait l'épouse du Barracand, celui qui fabrique et/ou vend du baracan, une grosse étoffe de laine. Cette dentellière de Mans (canton de Vorey en Haute-Loire) est considérée comme une des dernières représentantes des chanteurs auvergnats d'autrefois. C'est à ce titre qu'elle est longuement enregistrée à la fin de sa vie par Jean Dumas (1924-1979), un professeur d'italien pratiquant le collectage des chansons populaires à l'aide d'un magnétophone Stuzzi, dès 1945. Cent-quarante chansons de Virignie Granouillet ont été ainsi captées et sont désormais écoutables en ligne ici, sur le site du patrimoine oral auvergnat. 
Et c'est un trésor. Pour citer cette page : "L’art de Virginie Granouillet est tellement façonné, poli, à force de pratique, qu’on en saisit d’emblée l’essentiel : derrière la voix de la chanteuse, on entend en palimpseste toutes les voix qu’elle a entendues et qui ont chanté avant elle." La chanteuse traditionnelle apparaît ainsi comme un "feuilletage de temps", dont les gestes, le chant, sont bien plus anciens qu'elle (ce sont ceux de sa mère, de sa grand-mère, de son arrière-grand-mère et ainsi de suite). La Baracande est donc bien un "fantôme" au sens où l'entend Georges Didi-Huberman.
Parmi ces morceaux, notre attention a été attirée (grâce à son incroyable interprétation par le groupe La Baracande, de La Nòvia, à écouter ici) par Là-haut là-haut dedans la tour, un sommet de poésie cruelle qu'on dirait issu du fonds des âges (et c'est d'ailleurs plus que probablement le cas - voir les différentes versions, d'origine médiévale, de La fille au roi Louis, La fille du roi dans la tour, La fille du roi Loys...). On peut écouter la version de Virginie Granouillet ici, en voir la fiche descriptive rédigée par Jean Dumas ci-dessus et en lire le texte ci-dessous.

"Là haut là haut dedans la tour
Y a une princesse à mes amours
Elle voulait se marier
Son père voulait l'empêcher

Son père il a dit au geôlier
Mettez ma fille dans la prison
Dans la plus basse de la tour
Qu'elle n'y voit ni nuit ni jour

Mais au bout de sept ans passés
Son père va la visiter
Bonjour ma fille comment ça va
Oh mon papa ça va très mal

J'ai un côté mangé des vers
Mes pieds sont pourris dans les fers
Oh mon papa si vous aviez
Quatre ou cinq sous pour me donnez
Je les donnerai au geôlier
Il me desserrerait mes pieds

Oh oui ma fille nous en avons
Non pas des mille mais des millions
Si tes amours veulent changer
J'ai de l'argent à te donner

Avant de changer mes amours
J'aime mieux périr dans la tour
Dedans la tour tu périras
Dedans la tour tu resteras

Son amant Pierre passe par là
Lui jette une lettre de haut en bas
Il(e) lui a mis pour écrit :
Faites la morte ensevelie

La belle est morte c'est tout dit
Il faut la faire ensevelir
Dans la chapelle de Saint-Louis
Il faut la faire ensevelir

Il avait cent prêtres autant d'abbé
Qui sont venus pour l'enterrer
Son père qui était là dernier
Pleurant sa fille Marion
Qui était morte dans la prison

Arrête prêtre arrête abbé
C'est ma mignonne que vous portez
C'est ma mignonne que vous portez
Morte ou en vie j'veux lui parler

Il n'a coupé le drap de lin
Avec un couteau d'argent fin
Et son amant lui ayant sourit
La belle s'est mise à rire"


2 commentaires:

diemo a dit…

Le lien vers l'enregistrement original a changé:
http://patrimoine-oral.org/dyn/portal/index.seam?binaryFileId=6416&page=alo&fonds=&aloId=15619&actionMethod=dyn%2Fportal%2Findex.xhtml%3AdownloadAttachment.download&cid=110

ou, mieux, pointer sur la notice entiere:
http://patrimoine-oral.org/dyn/portal/index.seam?aloId=11897&page=alo&fonds=&cid=110

Alexandre Galand a dit…

C'est changé. Merci !