mercredi 29 janvier 2014

Le terril (11)


Les pentes du terril sont escarpées et lorsque j'y glisse, j'ai rarement l'occasion de me rattraper aux nuages. Quand mon équilibre et la gravité se disputent de la sorte, je commence toujours par jouir de cette perte de repères, momentanée et aveuglante. Ça y est, ma carcasse s'envole : seuls les avions et les oiseaux aventureux auront désormais le loisir de détailler ma calvitie gloutonne. Hélas, le rêve n'a qu'un temps. La chute et ces ronces avides de mes lèvres, ces briques qui veulent rebâtir sur mes fossettes. Mais tout cela n'est rien. Le pire, ce sont les outrages infligés à mes molaires et autres incisives, à ces dents qui me rappellent tous les jours que je suis et terminerai squelette. Quiconque a une bouche le sait, une chambre pulpaire n'est pas une chambre nuptiale, c'est une fournaise. Et l'émail censé la contenir, forteresse blanche de pacotille, n'est le plus souvent qu'une couverture élimée, un maquillage de clown triste, un dépôt de déchets dans un jardin de maison en ruines. Ce matin en quittant le dentiste, une nouvelle radiographie m'enseigne une évidence : ma bouche est une contrée de terrils. Creusement, extraction, tarissement, abandon... Tout y est, si ce n'est que mes dents caressent rarement l'horizon. Et il reste à trouver à qui a profité l'exploitation du minerai... 
Pour reprendre la dédicace de Richard Copans dans son très beau film Racines, ce texte (et la totalité de ce blog peut-être) "est dédié à ceux qui ont mal aux dents, aux chasseurs de fantômes, à ceux qui changent de lieu et de chance."
En avant.

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