jeudi 19 septembre 2013

De la musique à faire fuir les loups


Où l'on apprend que pour se garantir des attaques de loups, on a parfois usé de moyens de protection aléatoires... comme :

"Faire du bruit : du violon aux sabots

Dans le contexte de détestation de l'animal qui marquait l'époque de Buffon, un spécialiste de l'élevage du mouton comme l'abbé Carlier n'hésitait pas à écrire que cet "animal est tellement ennemi de l'harmonie que le son des instruments le fait fuir". Et de rapporter, dès 1770, l'histoire du violoneux à laquelle le XIXe siècle allait assurer, dans bien des provinces de France, une large fortune, avec les variantes du cru :

"Nous avons ouï raconter d'un ménestrier de village qu'ayant trouvé à sa rencontre deux loups mâtins - c'est-à-dire des loups charognards -, il leur avait donné quelques petites provisions qu'il rapportait d'une noce. Les loups, ayant tout dévoré, le menaçaient encore. Le ménétrier, auquel il ne restait que son violon, leur joua un air qui mit ces animaux en fuite."

Parmi les nombreux témoignages oraux recueillis sur la présence des loups, la Bourgogne est créditée de la même histoire. Dans les années 1840, sur le chemin de Vitteaux, à Blancey (Côte-d'Or), par la montagne, voici Faraud, un ménétrier réputé qui revenait de noce avec une provision de harengs au cœur d'un hiver. Il regagnait son village dans la neige, par la montagne, à travers bois. Deux ou trois loups l'avisent, décidant de le suivre. Pour les éloigner, Faraud leur lance un, deux puis trois harengs sur lesquels se jettent ces "maigres" bêtes. Mais le pauvre violoneux était toujours rejoint par les loups et sa provision de poissons tirait à sa fin quand il avisa un arbre sur lequel il grimpa. Les loups cernèrent notre homme et, le derrière à terre, n'attendaient que l'instant, selon l'histoire, où tomberait le violoneux. En ce moment critique Faraud eut une idée lumineuse : il prit son violon et se mit à jouer. La musique était si épouvantable que les importuns prirent la fuite. Une quinzaine d'années plus tard, à la Saint-Martin 1855, Faraud fit un émule toujours en Auxois, sur la route de Vaux-les-Grenand. Un manœuvre-vigneron, Alexis Dufour, allait de village en village jouer du violon pour faire danser la jeunesse. Quittant le village de Châteauneuf vers 3 heures du matin pour regagner sa maison à travers la montagne, notre ménétrier rencontre la même mésaventure avec un seul loup cette fois. C'est une brioche de la fête du village qu'il rapportait alors. De morceau en morceau lancé à l'animal, il n'en resta plus une miette. Poursuivi par le loup qui ne s'était pas satisfait du gâteau qu'il avait émietté, Dufour prit le parti de grimper sur un chêne et ne dut son salut qu'à son idée de jouer un air de danse qui fit disparaître l'encombrant visiteur comme une flèche. En Normandie, le même scénario persiste plus longtemps encore puisqu'on le retrouve, d'après Armand Billard (1913-2004), à la date du 5 juillet 1928. Dans une auberge de Rougemontier, dans l'Eure, deux frères rencontrent un violoneux qui revenait d'un mariage terrifié par un loup :

"En traversant eun'bois i'fut surprins de s'aperchever qu'il avait été sieuvit pa'eun loup. Pou'calmi l'animal i'li avait baillé morciau pa'morcé la nourolle qu'i rapportait cheu li. Mais le gâtiau mâqué, le loup sieuvait toujours. Pisd'pus en pus menachant, not'e homme avait eu la présenche d'esprit de saisi s'archet pis de jouer les meilleus morciâs de san repertoire. S'i fallait mouri, autant le faire en musique.
Le loup, brun ha bitué à tieulle sérénade, pris la poud'e d'escampette. Les loups, com'les quins, n'aiment pas biaucoup le son des instruments. Chela leus agache les nerfs." (...)"

Jean-Marc Moriceau, L'homme contre le loup. Une guerre de deux mille ans, Fayard, 2011 (Pluriel, 2013, pp. 135-136).

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