mardi 15 janvier 2013

Paradigme indiciaire (4)

Passage de l'Opéra, Paris, 1909

"La trace est l’apparition d’une proximité, quelque lointain que puisse être ce qui l’a laissée. L’aura est l’apparition d’un lointain, quelque proche que puisse être ce qui l’évoque. Avec la trace, nous nous emparons de la chose ; avec l’aura, c’est elle qui se rend maîtresse de nous." 
Walter Benjamin, Paris, capitale du xixe siècle. Le livre des passages, trad. par Jean Lacoste, 3e édition, Paris (M 16a, 4).

"Au phénomène de la trace doit avant tout être rattaché le flâneur que Benjamin est, il est vrai, le premier à avoir identifié comme une figure spécifique du xixe siècle. Alors que le promeneur, son précurseur du xviiie siècle (M 13a, 3), découvrait dans la nature sauvage un paysage esthétique, le flâneur découvre un monde qui lui y est opposé, un monde étranger à la nature : « ce dernier voit la ville se scinder en deux pôles dialectiques. Elle s’ouvre à lui comme paysage et elle l’enferme comme chambre (Stube) » (M 1, 4). La masse des grandes villes est l’élément vital du flâneur. Elle est pour lui tout à la fois labyrinthe et asile, enivrant élixir de vie et incomparable champ d’observation sur lequel son regard physiognomonique fait ses preuves dans l’art de « déchiffrer sur les visages la profession, l’origine et le caractère » (M 6, 6), enregistrant les traces, perçant ce que la vie publique tient caché. Le flâneur préfigure ainsi le détective (M 13a, 2). C’est l’expérience moderne de l’anonymat au sein de la masse des grandes villes en perpétuelle croissance (attestée depuis 1798) que cette figure incarne. En littérature, elle se traduit par l’avènement du roman policier dont le contenu social tient, à l’origine, à « l’effacement des traces de l’individu dans la foule de la grande ville ». "
"Ce qui, aux yeux de Baudelaire, différenciait le flâneur du simple badaud était, entre autres, le fait qu’en tant qu’homme de la foule, il pouvait tout aussi bien rester dans une distance souveraine à l’égard des foules des grandes villes (« L’observateur est un prince qui jouit partout de son incognito ») ou y plonger comme dans un « immense réservoir d’électricité » en « amoureux de la vie universelle », tout en mettant en mots la connaissance, sinon la conscience qu’il avait d’elle (« On peut aussi le comparer, lui, à un miroir aussi immense que cette foule ; à un kaléidoscope doué de conscience »). À un moment au moins, Benjamin reconnaît que le flâneur dans la foule peut sans doute avoir vu au travers de l’illusion sociale. « L’oisiveté du flâneur est une protestation contre la division du travail » (M 5, 8)
Extraits de Hans Robert Jauss, « Trace et aura. Remarques à propos du Livre des passages de Walter Benjamin », Trivium, 10–2012 (texte paru en ligne ici)

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