dimanche 4 novembre 2012

La tâche d'en dominer le déferlement sur la terre






Ce samedi, nous sommes allés écouter un concert de sonneries de trompes de chasse "en présence de la clé de saint Hubert", exposée à l'occasion de la fête du patron des chasseurs. Pour l'occasion, on livre un extrait du passionnant Sang noir. Chasse, forêt et mythe de l'homme sauvage en Europe de l'ethnologue Bertrand Hell (réédité cette année chez L’œil d'Or). On espère que ce concert en forme de remède prophylactique nous préservera d'éventuelles fureurs noires à venir...

"Au IXe siècle, à l'époque où s'établit le pèlerinage de saint Hubert, l’évêque de Reims, Hincmar, lance un appel véhément : "Il faut rechercher ardemment l'aide des saints qui règnent sur la terre par des miracles ; vers leurs tombeaux les malades viennent et sont guéris, les paysans accourent et cessent d'être la proie du diable, les possédés du démon s'y hâtent et sont délivrés". Cette exhortation sera très largement entendue, et de longues colonnes de pèlerins vont affluer de manière quasi ininterrompue jusqu'à nos jours, vers le sanctuaire des Ardennes. Affluence certes, mais point de recours fortuits. Le culte des saints mis en place durant le Moyen Âge est un système thérapeutique, dans lequel les puissances thaumaturges respectives des saints guérisseurs se complètent. A chaque saint est dévolu un champ spécifique de guérison-délivrance : saint Roch et la peste, saint Antoine et l'érysipèle, saint Acaire et le mal des acariâtres, etc. ; à chaque dévotion, qui comprend des éléments spécifiques tels le rituel ou la légende hagiographique, incombe la fonction de rendre cette spécificité lisible à tous. Voilà pourquoi, en prenant simplement comme exemple le pays ardennais, les possédés souffrant de deux affections psychopathologiques apparemment identiques ne vont pas implorer le même saint. Les hommes livrés au mal de saint Guy (convulsions liées à la chorée) se rendent à Echternach, au Luxembourg, auprès de saint Willibrod, un moine anglais contemporain de saint Hubert. Là, ils trouvent la guérison grâce à un rite célèbre, la procession dansante autour du tombeau (les dévots font trois sauts en avant suivis de deux sauts en arrière). En revanche, les enragés, les frappés du haut mal et tous ceux qu'étreint une fureur noire se placent sous la protection de saint Hubert. Dans le réseau des saints guérisseurs, saint Hubert occupe une place particulière, liée à sa capacité de maîtriser les débordements les plus noirs. Mais, outre la métamorphose animale des possédés, sous quelle autre forme ces forces sauvages associées au sang noir se manifestent-elles au regard de l'Eglise ? Le clerc appelé à la barre du tribunal bordelais au début du XVIIe siècle nous apporte la réponse : "En nostre âge, de récente mémoire, on a vu des apparitions nocturnes de chasseurs criants comme vrais chasseurs et entendu des bruits de cornets, de chiens, de chevaux, de lumières qui ne sont autres que démons" (Procez criminel contre Jean Grenier). Ces chasseurs démoniaques viennent de l'au-delà, et à saint Hubert seul incombe la redoutable tâche d'en dominer le déferlement sur la terre."

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