jeudi 19 juillet 2012

L'usage sonore du monde (1)


Pour précéder et accompagner la sortie de Field Recording. L'usage sonore du monde en 100 albums (le 15 novembre aux éditions Le mot et le reste), on publiera ici des extraits de livres, chroniques et interviews 'inédits'. Il est en effet clair pour nous qu'arrivé à un certain point, on peut (et on doit ?) toujours aller plus loin.
Débuter cette série avec quelques extraits du Journal de Henry David Thoreau, dont le premier volume d'une édition intégrale est paru cette année chez Finitude, semble opportun. Celui qui avait décidé d'aller vivre dans les bois à Walden montre souvent dans ses écrits une grande sensibilité aux mouvements et à la vie du paysage, y compris les sons de la nature. Quantité de notes relatives au chant des oiseaux et des insectes, au vent et à l’écoulement des eaux, émaillent ce journal passionnant. On en livre quelques exemples ci-dessous non sans rappeler que Le mot et le reste a publié divers ouvrages de Thoreau dont une nouvelle traduction de son classique Walden ou la vie dans les bois en 2010.

"5 décembre 1837
HARPE DE GLACE
Mon ami me dit qu'il a découvert un nouveau son dans la nature, qu'il appelle la Harpe de glace. Par hasard, il a lancé une poignée de cailloux sur la mare là où la glace retenait une cloche d'air - la glace lui a joué une agréable musique.
A l'intérieur réside une dixième muse - et comme c'est lui qui l'a découverte, la nouvelle mélodie est probablement en lui."


"6 mars 1838
Comment un homme peut-il rester assis à se couper les ongles, tandis que la terre tourne au milieu de la musique assourdissante des sphères, et le fait tournoyer autour de son axe sur vingt-quatre mille miles d'un soleil levant à l'autre ? et surtout l'entraîne sur les deux millions de miles de son orbite réelle ? Et avec un tel vacarme à la surface de la terre - le vent qui souffle sans cesse, tantôt un zéphyr, tantôt un ouragan - l'Océan jamais immobile, toujours en mouvement - aucun répit pour le Niagara, mais un ramdam perpétuel sur les rochers calcaires - sans parler de ce frémissement de l'été auquel nos oreilles sont habituées, mais qu'on baptiserait autrement "confusion pire que la confusion", mais qu'on appelle maintenant ironiquement "silence audible" - et par-dessus tout, ce trafic incessant que l'on appelle le bourdonnement du travail - les allées et venues hâtives et le jacassement confus des hommes. L'homme peut-il faire moins que de se lever et se ressaisir ?"


"2 septembre 1838
MUSIQUE DES SPHÈRES
Les coqs chantent des airs dont nous ne nous lassons jamais. Certains trouvent de l'agrément dans la mélodie des oiseaux et le cricri des grillons - et même dans le chant des grenouilles. La plupart des hommes perçoivent ces sons si ténus malgré les larmes, les plaintes et les grincements de dents qui, chez nous, profanent le Jour du Seigneur. - Somme toute, la plainte émise par la Terre est un son très faible, d'un volume infiniment supérieur à ses crépitements de joie et à ses murmures jubilatoires - de sorte que nous pouvons espérer que le prochain aéronaute s'élèvera au-dessus des plus culminants de tous les sons discordants, jusque dans la région des mélodies pures. - Jamais la plainte n'a été aussi bruyante, mais elle a semblé s'estomper dans une mélodie perçante et une note de joie - qui ne s'est guère attardée dans le limon de la vallée."


"16 juillet 1840
Les sons nous délaissent autant que les images, les senteurs ou les saveurs - ainsi de l'aboiement d'un chien entendu dans les bois à minuit, ou même des sonnailles qui accompagnent l'aube. 
Alors que ce matin je cueillais des mûres à la lumière des étoiles, le lointain jappement d'un chien a touché mon oreille tout comme la froide brise caresse ma joue."



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