samedi 31 décembre 2011

Vers les cimes (16)

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Grâce à Nicolas Bouvier, j'ai repris un auteur que j'avais délaissé depuis pas mal de temps : Henry Miller. Il fallait pourtant découvrir son incroyable texte Je porte un ange un filigrane, inclus dans Printemps noir (Gallimard, 1946 pour la première édition). Dans une divagation magnifique sur les sortilèges de la création artistique, Miller nous assène quelques uppercuts bien sentis (j'en livre les premières et les dernières phrases) qui achèvent l'année comme elle a commencé : des gnons, mais c'est bon.
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"L'objet de ces pages est de relater la genèse d'un chef-d’œuvre. Le chef-d’œuvre est pendu au mur devant moi ; il est sec maintenant. J'écris ces notes pour me rappeler le processus de création, parce que je n'en ferai probablement jamais plus un semblable.
(...)
Non, je crains que non! vous ne voyez que le blême ange bleu gelé par les glaciers. Vous ne voyez même pas les baleines de parapluie, parce que vous n'êtes pas dressés à les chercher. Mais vous voyez un ange, et vous voyez le cul d'un cheval. Gardez-les donc, ils sont pour vous ! L'ange n'est plus grêlé maintenant - rien qu'une froide lumière bleue qui met en relief son ventre descendu et ses pieds plats. L'ange est là pour vous conduire au ciel, où tout est plus, et rien n'est moins. L'ange est là comme un filigrane, garantie de votre vision sans défaut. L'ange n'a pas de goître, c'est l'artiste qui a le goître. L'ange est là pour jeter des brins de persil dans votre omelette, pour vous mettre un trèfle à la boutonnière. Je pourrais gratter la mythologie sur la crinière du cheval, gratter le jaune du Yang-Tsé, gratter la date de l'homme dans la gondole, gratter les nuages et le papier fou qui enveloppait les bouquets d'éclairs fourchus et faire tout disparaître... Mais l'ange, impossible de l'effacer. Je porte un ange en filigrane."
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