jeudi 20 octobre 2011

Ecoute le bambou qui pleure


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L'Océanie est bel et bien une contrée où ont été élaborées des musiques essentielles (voir déjà ici). Depuis hier, on est plongé à nouveau dans des field recordings des années 1970 de l'ethnomusicologue Hugo Zemp consacrés aux traditions musicales des îles Salomon : Ensembles de flutes de Pan 'Aré' Aré et Musiques intimes et rituelles 'Aré' Aré (qui présentent des enregistrements différents de ceux parus initialement dans la collection du Musée de l'Homme en 1971, 1972 et 1973).
Surtout, on attend avec impatience de voir le film Musiques 'Aré' Aré, produit en 1979 par le CNRS, toujours par Hugo Zemp. Dans ce film sont successivement étudiés vingt types de musique traditionnelle 'Aré' Aré, à chaque fois introduits par un musicien local. Quelques extraits sont visibles ci-dessus. Sur le site du CNRS, on peut voir en ligne et gratuitement un autre film de Zemp à propos des 'Aré' Aré : Tailler le bambou (1979).
Hugo Zemp a décidément bien contribué à la découverte de ces musiques de flûtes de Pan et autres polyphonies, notamment en collectant ce qu'en disent les Mélanésiens eux-mêmes dans un très bel ouvrage de l'indispensable collection L'aube des peuples : Ecoute le bambou qui pleure. Récit de quatre musiciens mélanésiens ('Aré' Aré, Îles Salomon) (1995) dont voici un extrait à propos de la magie des ensembles de flûtes de Pan (pp. 58-59), raconté par 'Irisipau, à lire pendant que les disques tournent :
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"Le pouvoir magique est fort dans les flûtes de Pan. Pour certains instruments, l'homme qui jadis les a taillés a enfermé une noix d'arec dotée de pouvoirs magiques dans l'extrémité inférieure, ensuite rebouchée avec de la poix. Chaque fois qu'ils jouent de ces instruments, le pouvoir magique est là ; il y est en permanence et se manifeste même à ceux qui ignorent qu'il est là. L'émotion des femmes venues à la fête monte, tout comme celles des hommes, grâce à cette musique, et les joueurs reçoivent de la monnaie en retour. Pour les flûtes de Pan qu'on emporte en tournée musicale, on coupe une noix d'arec, on la mâche et on prie avec elle pour détourner la malchance. Ou bien on frotte sur l'instrument un bouquet de mahe.
Les flûtes de Pan qu'on apporte à une fête des porcs, on les lave dans la rivière en introduisant dans les tuyaux, avec un mouvement de va-et-vient, de jeunes joncs dotés de pouvoir magique. Quand les musiciens arrivent à la fête, tous les gens, poussés par ce pouvoir magique, volent pour venir les voir.
Personne ne doit traverser le chemin devant les musiciens quand ils arrivent avec ces instruments. Une femme qui traverserait leur chemin, en respirant l'odeur de leur sueur, deviendrait folle. Elle deviendrait folle à cause du pouvoir de la noix d'arec avec laquelle ils ont prié et qui se trouve avec la flûte de Pan. S'ils ne la guérissaient pas, le pouvoir magique s'emparerait de cette femme pour toujours. Elle ne deviendrait pas folle tout de suite, devant eux, mais plus tard dans la nuit : elle aurait une telle force que personne ne pourrait la retenir. Elle secouerait quatre ou cinq hommes et les traînerait à travers le village. Seul un homme expert dans la technique magique utilisée par les musiciens pourrait la guérir, et il faudrait la rémunérer pour ses soins. Si on ne la guérissait pas avec un rituel approprié, elle resterait folle à jamais."
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