lundi 5 septembre 2011

Vers les cimes (12)

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Grand collecteur de récits populaires de la France profonde et écrivain au verbe rare, Claude Seignolle (né en 1917) est un des plus illustres représentants du genre fantastique en français. Blaise Cendrars, Pierre Mac Orlan et les autres ont été ses admirateurs fervents. Pour l'anecdote, certains de mes camarades seront peut-être intéressés d'apprendre qu'il a fréquenté la Société préhistorique française à l'époque de l'abbé Breuil.
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Dans son premier roman Le rond des sorciers (1945), les superstitions de la campagne française au 19e siècle sont racontées à l'aide d'une langue magnifique, à la fois crue et poétique. Le talent de l'auteur à restituer l'obscurité et le mystère des bois et à brosser l'inéluctabilité de la destinée humaine contribue à l'élaboration d'une atmosphère sombre et tendue dont on a du mal à se détacher. Le roman m'a plusieurs fois évoqué La Grande peur dans la montagne de Charles-Ferdinand Ramuz, c'est peu dire que le livre de Seignolle m'a plu.
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Et on a du travail avec cet écrivain. Nous attendent en effet ses autres romans et nouvelles, son récit Les loups verts (mêlant souvenirs de la seconde guerre mondiale et ambiance fantastique - où les SS sont des loups-garous ! -), ses Évangiles du Diable (un livre-somme présentant un nombre incroyable de légendes, récits et autres témoignages concernant le Prince des Ténèbres)... Ses romans et nouvelles ont été réédités récemment en poche chez Phébus, mais on peut aussi essayer Au château de l'étrange au Castor Astral dans la collection Curiosa & Caetera. Ou encore ses Contes, récits et légendes des pays de France chez Omnibus... En attendant, voici les quelques premières phrases du Rond des sorciers :
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"Le volet a été mal accroché, aussi le vent l'oblige à battre l'étroite fenêtre qu'il devait protéger. Par moments, tel un essaim d'insectes aveuglés par un verre de lampe, la pluie s'écrase sur les vitres. Le vent, qui n'en fait toujours qu'à sa tête, s'engouffre également dans l'âtre et, à la lueur des braises ranimées par son souffle, tombent les suies épaisses qui gavent la cheminée.
Jamais nuit n'a paru aussi lugubre. D'entre la grange et le bâtiment abritant la grande pièce de ferme, des gémissements d'air naissent, mordant cœur et âme. Sur les flancs du tombereau chargé de fumier sont restées des fourches , bien plantées de leurs quatre dents. Leurs manches se plaignent en sifflant des fureurs aiguës. Dans ce coin marqué du diable, le rétrécissement de la course folle du vent accroît sa violence et montre toute sa colère de s'être laissé prendre dans un piège qu'il fuit en grondant.
Résonnent aussi les lamentations du grand noyer tanguant comme, jadis, une de ces caravelles toute en hauteur, effrayantes avec leur allure de grosses mouches retournées sur l'océan immense, pattes dressées cherchant en vain d'impossibles points d'appui.
Les accalmies apportent le bruit de l'averse qui, lasse d'être brassée par les remous de la tempête, semble vouloir en finir et tomber plus précipitamment à chaque inattention du vent. Rentrée presque entière dans la niche avec le chien, son prisonnier, la chaîne ne grince plus depuis le début de ce soir de novembre touché de plus d'un tourment. Et Dieu préserve seulement le bétail insensible qui, affalé dans ses bouses, a depuis longtemps trouvé le repos faisant défaut aux maîtres des Mauvents.
La bruyère de la lande se couche sur le sable qui entonne goulûment l'eau sans être repu. M. le Curé doit maintenant se trouver à mi-chemin entre le bourg et la ferme, si toutefois le gars du fermier a fait vite et ne s'est pas attardé à dire la chose aux heureux qui, rassemblés en de réconfortantes veillées, visage cuit par la flamme de quelques bûches, se racontent des histoires, tressant bavardages et paniers, pendant que les femmes tirent patiemment sur la quenouille."
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