lundi 19 septembre 2011

Le paradis blanc (2)

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On continue la semaine du froid avec deux textes frissonnants trouvés dans l'indispensable anthologie de Jerome Rothenberg Les techniciens du sacré (José Corti, 2007, pp. 295-296). Il s'agit de poèmes en prose esquimaux issus du classique de Knud Rasmussen Intellectual Culture of the Iglulik Eskimos (Copenhague, 1930). Et en bonus, quelques photographies d'Esquimaux réalisées par Edward S. Curtis en 1929 (avec notamment de la viande de baleine qui sèche en 3e position).
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"Mère & Enfant

Une femme enceinte mit au monde un enfant. À peine l'enfant était-il né qu'il se jeta sur sa mère & la tua. Puis il se mit à la manger.

Brusquement l'enfant s'écria:

Le petit doigt de ma mère est resté coincé en travers de ma gorge & je n'arrive pas à le retirer.

Sur ces mots, l'enfant se donna la mort, après avoir tué & dévoré sa mère

(raconté par Inugpasugjuk)

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La femme qui élevait une larve

Il était une fois une femme stérile qui ne pouvait pas avoir d'enfant. Elle finit par adopter une larve, qu'elle nourrissait en lui faisant sucer ses aisselles. Au bout de peu de temps, la larve se mit à grossir. Mais plus elle grandissait, et moins la femme avait de sang pour la nourrir. Elle allait donc souvent marcher dans le voisinage, pour activer sa circulation. Mais elle ne restait jamais longtemps loin de chez elle, car elle pensait sans cesse à sa larve chérie & se hâtait d'aller la retrouver. Elle lui manquait tellement, elle s'était tellement entichée d'elle que chaque fois, en arrivant dans l'entrée de sa maison, elle l'appelait en disant:

Oh, toi mon petit qui sais siffler, fais-moi"ti-i-i-i-I-I".

Et à peine avait-elle dit ça, que la larve lui répondait:

"ti-i-i-i-I-I".

La femme se hâtait alors d'entrer, prenait la larve sur ses genoux et lui chantait:

Toi mon petit qui m'apporteras de la neige

quand tu auras grandi

Toi mon petit qui m'apporteras de la viande

quand tu auras grandi...

Puis elle se mettait à la mordiller de partout, tellement elle l'aimait.

La larve grandit & finit par devenir énorme. Elle se mit alors à ramper dans le village, entre les maisons, & les gens avaient peur d'elle & voulaient la tuer-d'une part parce qu'ils avaient peur & d'autre part parce qu'ils se disaient que c'était vraiment une honte de rester les bras croisés, alors que cette malheureuse pâlissait de jour en jour, tant elle donnait de son sang.

Aussi, un jour où la femme était partie en visite, ils se rendirent dans sa maison & mirent la larve dehors, la poussant dans le caniveau. Puis les chiens se jetèrent sur elle et la déchiquetèrent. Le sang giclait de partout, car la larve en était pleine.

La femme revint de sa visite sans nourrir le moindre soupçon & une fois arrivée chez elle, elle appela la larve comme à son habitude. Mais personne ne lui répondit & la femme s'exclama:

Oh ils ont chassé de chez moi on enfant chéri.

Elle fondit en larmes & pénétra dans sa demeure en pleurant.

(raconté par Ivarluardjuk)"
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