dimanche 31 juillet 2011

Avant-dernières pensées (1)

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La mollesse du dimanche après-midi. On réécoute les œuvres pour piano d'Erik Satie interprétées par Aldo Ciccolini et on en profite pour signaler la parution récente d'une magnifique anthologie intitulée Fumisteries. Naissance de l'humour moderne 1870-1914 par Daniel Grojnowski et Bernard Sarrazin (Omnibus). Ce riche ouvrage comprend des textes regroupés d'après des thèmatiques diverses (Contes noirs, Zoologie, Jeux et cabrioles, Métaphysique et théologie...) de nombreux auteurs : Alphonse Allais, Alfred Jarry, Léon Bloy, Octave Mirbeau, Jules Laforgue... On y trouve notamment quelques écrits d'Erik Satie dont la production littéraire, tout autant que la musique, en font un personnage à part, mélancolique et délirant. Une preuve parmi d'autres avec l'extrait ci-dessous :
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"La journée du musicien.
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L'artiste doit régler sa vie.
Voici l'horaire précis de mes actes journaliers :
Mon lever : à 7 h 18 ; inspiré : de 10 h 23 à 11 h 47. Je déjeune à 12 h 11 et quitte la table à 12 h 14.
Salutaire promenade à cheval, dans le fond de mon parc : de 13 h 19 à 14 h 53. Autre inspiration : de 15 h 12 à 16 h 07.
Occupations diverses (escrime, réflexions, immobilité, visites, contemplation, dextérité, natation, etc.) : de 16 h 21 à 18 h 47.
Le dîner est servi à 19 h 16 et terminé à 19 h 20. Viennent des lectures symphoniques, à haute voix : de 20 h 09 à 21 h 59.
Mon coucher a lieu régulièrement à 22 h 37. Hebdomadairement, réveil en sursaut à 3 h 19 (le mardi).
Je ne mange que des aliments blancs : des œufs, du sucre, des os râpés ; de la graisse d'animaux morts ; du veau, du sel, des noix de coco, du poulet cuit dans de l'eau blanche ; des moisissures de fruits, du riz, des navets ; du boudin camphré, des pâtes, du fromage (blanc), de la salade de coton et de certains poissons (sans la peau).
Je fais bouillir mon vin, que je bois froid avec du jus de fuchsia. J'ai bon appétit ; mais je ne parle jamais en mangeant, de peur de m'étrangler.
Je respire avec soin (peu à la fois). Je danse très rarement. En marchant, je me tiens par les côtes et regarde fixement derrière moi.
D'aspect très sérieux, si je ris, c'est sans le faire exprès. Je m'en excuse toujours et avec affabilité.
Je ne dors que d'un œil ; mon sommeil est très dur. Mon lit est rond, percé d'un trou pour le passage de la tête. Toutes les heures, un domestique prend ma température et m'en donne une autre.
Depuis longtemps, je suis abonné à un journal de modes. Je porte un bonnet blanc, des bas blancs et un gilet blanc.
Mon médecin m'a toujours dit de fumer. Il ajoute à ses conseils :
- Fumez, mon ami : sans cela, un autre fumera à votre place."
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Erik Satie dans la Revue musicale, 15 février 1913 (pp. 371-372 dans l'anthologie susmentionnée).
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