vendredi 25 mars 2011

Traquer l'amour

.
Dans le documentaire retraçant l'histoire de la maison Gallimard Gallimard le Roi Lire, réalisé par William Karel et visible sur le site d'Arte pour encore quelques jours, mon attention a été attirée par la lecture d'une lettre envoyée peu avant le 14 avril 1932 à Gaston Gallimard par Louis-Ferdinand Céline, en accompagnement de son manuscrit de Voyage au bout de la nuit. La voici (d'après l'édition Pléiade, 2009 des Lettres, pp. 306-308) :
.
"Monsieur,

Je vous remets mon manuscrit du Voyage au bout de la nuit (5 ans de boulot).

Je vous serais particulièrement obligé de me faire savoir le plus tôt possible si vous êtes désireux de l’éditer et dans quelles conditions.

Vous me demandez de vous donner un résumé de ce livre. C’est un bizarre effort en vérité auquel vous me soumettez et jamais je n’y avais encore songé. C’est le moment me direz-vous. Je ne sais trop pourquoi mais je m’y sens tout à fait inhabile. (Un peu l’impression des plongeurs au cinéma qu’on voit rejaillir de l’eau jusqu’à l’estacade…) Je vais m’y essayer toutefois, mais sans manières. Je ne crois pas que mon résumé vous donnera grand goût pour l’ouvrage.

En fait ce « Voyage au Bout de la nuit » est un récit romancé, dans une forme assez singulière et dont je ne vois pas beaucoup d’exemples dans la littérature en général. Je ne l’ai pas voulu ainsi. C’est ainsi. Il s’agit d’une manière de symphonie littéraire, émotive, plutôt que d’un véritable roman. L’écueil du genre c’est l’ennui. Je ne crois pas que mon machin soit ennuyeux. Au point de vue émotif ce récit est assez voisin de ce qu’on obtient ou devrait obtenir avec de la musique. Cela se tient sans cesse aux confins des émotions et des mots, des représentations précises, sauf aux moments d’accents, eux impitoyablement précis.

D’où quantité de diversions qui entrent peu à peu dans le thème et le font chanter finalement comme en composition musicale. Tout cela demeure fort prétentieux et mieux que ridicule si le travail est raté. À vous d’en juger. Pour moi c’est réussi. C’est ainsi que je sens les gens et les choses. Tant pis pour eux.

L’intrigue est à la fois complexe et simplette. Elle appartient aussi au genre Opéra. (Ce n’est pas une référence !) C’est de la grande fresque, du populisme lyrique, du communisme avec une âme, coquin donc, vivant.

Le récit commence Place Clichy, au début de la guerre, et finit quinze ans plus tard à la fête de Clichy. 700 pages de voyages à travers le monde, les hommes et la nuit, et l’amour, l’amour surtout que je traque, abîme, et qui ressort de là, pénible, dégonflé, vaincu… Du crime, du délire, du dostoïevskysme, il y a de tout dans mon machin, pour s’instruire et pour s’amuser.

(…) Je ne voudrais pour rien au monde que ce sujet me soye soufflé. C’est du pain pour un siècle entier de littérature. C’est le prix Goncourt 1932 dans un fauteuil pour l’Heureux éditeur qui saura retenir cette œuvre sans pareille, ce moment capital de la nature humaine…
Avec mes meilleurs sentiments

Louis Destouches"
.

jeudi 24 mars 2011

j'ai dit oui je veux Oui

.
"... oui quand j'ai mis la rose dans mes cheveux comme le faisaient les Andalouses ou devrais-je en mettre une rouge oui et comment il m'a embrassée sous le mur des Maures et j'ai pensé bon autant lui qu'un autre et puis j'ai demandé avec mes yeux qu'il me demande encore oui et puis il m'a demandé si je voulais oui de dire oui ma fleur de la montagne et d'abord je l'ai entouré de mes bras oui et je l'ai attiré tout contre moi comme ça il pouvait sentir tout mes seins mon odeur oui et son cœur battait comme un fou et oui j'ai dit oui je veux Oui."
.
Marilyn Monroe à la fin de sa lecture d'Ulysse de Joyce et les derniers mots du roman dans sa traduction Gallimard la plus récente. Aux deux, on l'aura compris, on dit oui je veux Oui.
.

lundi 21 mars 2011

Strictly Dub

.

.
La perspective de quelques semaines de latence et de béance rend heureux. On fête ça en écoutant l'excellent Strictly Dub (1981) de Prince Jammy et en découvrant la vidéo ci-dessus. Des morceaux de Strictly Dub ici, ou .
.

mercredi 16 mars 2011

Voir ce que devient l'ombre

.
.
.
.
C'est grâce au documentaire de Matthieu Chatellier Voir ce que devient l'ombre (projeté au Cercle du Laveu récemment et bientôt en compétition au festival du Cinéma du réel à Paris) qu'on a découvert l'œuvre et la vie exceptionnelles de Fred Deux et de son épouse Cécile Reims. Avec joie, je m'aperçois qu'a lieu actuellement à Paris, à la Galerie Alain Margaron, une exposition consacrée au travail du premier Fred Deux au XXIe siècle. On passera y faire un tour. Il me faut également signaler que les deux artistes sont aussi écrivains et que La Gana de Fred Deux (publié en 1958 sous le pseudonyme de Jean Douassot) a l'air d'être une fameuse expérience de lecture, que certains rapprochent du Mort à crédit de Céline. On se réjouit que le livre soit réédité, ce qui devrait être chose faite cette année par l'excellent éditeur Le temps qu'il fait. Une interview de Fred Deux ici et quelques-unes de ses œuvres ci-dessus (de haut en bas : La connaissance de l'air, 1996, Moi après, 2008, Sans titre, 1969, Ton grand chiffre, 2008)
.

lundi 14 mars 2011

Vers les cimes (5)

.
.
"En ce temps-là, les morses faisaient halte sur le sable et les tours de forage ne se découpaient pas encore sur l'horizon. Khabtchikal était dans le négoce des ours blancs et Ivan Pourpeï, affalé dans son tchoum, ses ailes d'aigle déployées, se languissait de son ami de la Grande Terre, le chaman-corbeau. Il y avait des renards, des zibelines d'une espèce rare, à poils foncés, et des loups gris. Quand les loups disparurent, ce fut la fin des temps des héros. Tu me diras : "Et pourquoi ?" Je répondrai : "Est-ce que je sais ? Le héros va de pair avec le loup." Il règne sur le monde libre, non domestiqué par l'homme. Il ne connaît pas la loi, comme il ne connaît ni la fatigue ni la pitié envers les faibles. Le monde lui appartient : sans frontières et sans peur, il va de l'avant, étonne par sa force et sa puissance ceux qui ne font rien. Car le héros doit étonner les hommes, et son souvenir, quelle qu'en soit la forme, doit survivre longtemps dans la conscience qu'un peuple a de lui-même : exploits mythiques, miséricorde inouïe, ou sanglante cruauté. Le héros accomplit ses oeuvres sur une toile vierge où l'espace ne lui est pas compté. Viennent ensuite l'ordre et la loi, le héros se sent à l'étroit, il souffre d'un trop-plein de force, on ne peut le domestiquer : c'est pour cela qu'il n'attend rien de bon des temps nouveaux. Tu me diras : "Tu racontes là de drôles de choses." Mais je parle du héros épique, non de ceux proclamés héros pour leur bravoure sur des champs de bataille, ou leurs quelques travaux d'utilité publique. Je répondrai donc : "A toi de juger." Il n'y eut plus de loups. Il n'y eut plus d'ours, plus de poissons ni d'animaux dans la mer. Vinrent le papier, l'imprimé, les journées de travail, le salaire, les magasins, la vodka, l'ivresse et l'oisiveté. Des hommes différents arrivèrent, d'abord quelques-uns, puis d'autres, de plus en plus nombreux, qui s'imposèrent et remplacèrent les autres : il n'y eut plus de héros.
Je répète que j'ai eu de la chance : j'ai trouvé en vie le dernier des héros de ce peuple en voie d'extinction. Je l'ai reconnu au respect que lui portaient les anciens qui gardaient encore le souvenir du nomadisme, savaient ce qu'était la vraie vie et étaient prêts à en voir la fin. Le héros était malade, il allait mourir, avec lui mourait l'espoir, et ils n'en avaient pas d'autre.
Dans les terres reculées du Grand Nord, notre temps est très proche du temps des épopées ; quelques dizaines d'années à peine nous en séparent et les pères des vieillards actuels se remémorent quelques bribes des chants interminables, tels que le Mabinogi, exaltant les expéditions d'antan et les victoires de leurs ancêtres qui se déplaçaient vers le Grand Nord.
Ô sort cruel ! Aujourd'hui, les descendants de ces vieillards - petit peuple sans force ni puissance - attendent tranquillement la fin sur leur rivage, rappelant de temps à autre leur existence par quelque note plaintive..."
.
Vassili Golovianov, Eloge des voyages insensés ou L'île, Verdier, 2008, pp. 339-340.
.
L'exploration de l'île de Kolgouev, dans la mer des Barents, par l'écrivian russe Vassili Golovianov, est un des récits les plus beaux et les plus originaux lus récemment. Il faut s'y plonger, vraiment. Pour plus d'infos, voir ici.
.

vendredi 11 mars 2011

Quelques minutes de soleil après minuit

.
.
.
.

Ce soir au Cercle du Laveu, un concert à ne pas manquer : Quelques minutes de soleil après minuit. Le concert sera précédé d'une projection de quelques courts métrages de Norman McLaren. Venez nombreux !

Réunion de 3 long-activistes de la scène expérimentale française (David Chiesa – contrebasse, Jean-Philippe Gross – électronique et Xavier Quérel – projecteur 16 mm), pour un projet intitulé “Quelques minutes de soleil après minuit”, pour une performance sonore et visuelle variant de l’intime au chaos, de la précision au sauvage...

Trio mêlant image, électronique et musique acoustique, avec le désir de ne pas être dépendant d’un système de diffusion pour une sorte de musique de “chambre” électro-acoustique. Un travail de la matière avec une réelle intention de brouiller les pistes entre l’instrumentarium purement acoustique et électronique. Nerveux, énergique . . . et cinématographique abstrait (avec le travail de Xavier Quérel membre de la culte Cellule d’Intervention Metamkine) avec l’utilisation d’un écran de la taille d’une feuille A4 !

lundi 7 mars 2011

Spem in alium


C'est à la fin d'un week-end mouvementé que j'ai enfin découvert le Spem in alium de Thomas Tallis (vers 1505-1585) dans une interprétation des Tallis Scholars. Ci-dessus, vous trouverez une autre version de ce motet pour 40 voix, mais cela n'a guère d'importance. La première phrase Spem in alium nunquam habui praeter in te signifie Je n'ai jamais placé mon espérance en aucun autre que Toi. Et attention, ça rosse et ça cogne.

mercredi 2 mars 2011

Bientôt

.
.
.
.
.
Dans les trois semaines à venir, on ne pourra pas dire qu'il n'y a rien à faire. On peut également mentionner la soirée Entr'acte aux Ateliers Claus le 3 mars et le Festival Kraak au Netwerk à Alost le 5 mars.
.
Il nous faut également révéler que le mardi 22 mars, nous accueillerons au Cercle du Laveu Arrington de Dionyso (US, free post-punk shamanique, Old Time Relijun...) (+ invités) et Réveille (France, le nouveau projet de François Virot/Clara Clara). Bientôt plus d'infos !
.
Dans un premier temps, rendez-vous est pris le 4 mars à l'An vert. N'arrivez pas tard, les concerts comenceront à l'heure.
.