jeudi 24 février 2011

Concerts le 4 mars à l'An vert

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Ce vendredi 4 mars à l'An vert (Liège, Rue Mathieu Polain 4) aura lieu une soirée de concerts à ne pas manquer :

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Christine Sehnaoui (Liban, saxophone), Andrea Neumann (Allemagne, cadre de piano préparé) et Bonnie Jones (USA, électronique) figurent parmi les musiciennes les plus en vue de l’improvisation actuelle. En tissant sonorités acoustiques et électroniques, elles élaborent une musique vibrante toute en tensions et surprises. Multipliant chacune les collaborations dans le monde entier, leur rencontre à l’An vert sera une occasion rare de les voir jouer ensemble.

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Soirée de contrastes car nous recevrons également Stranded Horse, de son vrai nom Yann Tambour. Ce dernier a abandonné l’électricité orageuse de son projet Encre pour se consacrer à la pratique de la Kora, cet instrument à cordes africain. Ses deux albums de folk lumineux imprégnés de blues malien évoquent de grands espaces. Une bonne occasion de sortir de la mélancolie hivernale.

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Il y aura de la musique dansante et croustillante après les concerts. La PAF est fixée à 7 euros. Les portes ouvriront à 20.00, ne tardez pas, les concerts commenceront tôt.
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mercredi 23 février 2011

Vers les cimes (4)

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"Ils disent :
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« L'eau l'a gardée tout le mercredi, tout le jeudi, tout le vendredi et tout le samedi matin encore, bien qu'on eût été fouiller partout avec des perches et des crocs, mais on n'avait rien découvert, parce qu'elle a dû tourner ces trois jours sur place ou bien elle était restée prise à des racines sous un surplomb ; alors elle aura balancé là tout ce temps et jusqu'au moment où ses cheveux auront cédé ou bien peut-être que c'est sa jupe ; c'est-à-dire que c'était le samedi dans la matinée, peu après que le mulet aux provisions était parti pour le chalet, étant convenu qu'il n'irait pas jusqu'au chalet et que les provisions seraient déposées au Scex Rouge... Alors la question avait été : "Faut-il prévenir Joseph?" mais tout de suite on s'était dit : "Non, gardons-nous en bien, il voudra descendre..." Le mulet est parti, disent-ils, vers huit heures ; le vieux Théodule était dans son pré. Il ne le quittait plus ; il passait là toute la journée, toutes ses journées ; il avait passé là ces trois journées, regardant si elle ne viendrait pas. Elle ne venait pas. et puis elle est venue : peut-être qu'elle avait fini par avoir pitié de lui... »
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« Le vieux Théodule était dans son pré, disent-ils ; tout à coup, il la voit qui vient. Elle venait comme sur une balançoire ; elle s'est arrêtée devant lui un petit moment... Il s'avance, mais elle repart ; alors il a marché à côté d'elle et, à mesure qu'elle avançait, il avançait... A ce moment, elle se trouvait être dans le beau milieu de la rivière, de sorte qu'elle venait sans empêchement, le menton en l'air. L'eau la soutenait bien, elle se laissait faire, elle montait et descendait comme sur une balançoire, pendant que sa jupe gonflée s'élevait plus haut que l'eau et son tablier était dessus... On n'a eu qu'à la laisser venir jusqu'au pont... C'était après le petit Ernest, après le mulet tombé, après l'accident de Romain. Et puis il y avait toujours, là-haut, la maladie... »
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Charles-Ferdinand Ramuz, La grande peur dans la montagne (1926), Les cahiers rouges, pp. 130-131.
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Roman incroyable.
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La peinture : Ophélie de John Everett Millais (1851-1852, Londres, Tate Britain).
Le photographie : Charles-Ferdinand Ramuz (1878-1947) en 1935 par Gustave Roud (Fonds photographique Gustave Roud, BCU de Lausanne)
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mardi 22 février 2011

Un menhir dans l'ombre, Balzac

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J'aime beaucoup la photographie pictorialiste d'Edward Steichen (1879-1963), en particulier ses clichés du Balzac de Rodin, pris dans le jardin du sculpteur à Meudon en 1908 (les deux premières ci-dessus). Parmi bien d'autres œuvres intrigantes, les sous-bois presque abstraits (la troisième, en 1899) et le portrait du compositeur Richard Strauss (la dernière, en 1904) font froid dans le dos, mais c'est bon. Pour en savoir plus sur le Balzac de Rodin et la photographie pictorialiste, voir notamment ici et sur l'excellent site de L'histoire par l'image. Les photographies ci-dessus sont conservées au Metropolitan Museum of Art à New York.
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jeudi 17 février 2011

Les voies de la musique

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Ce week-end, un petit tour à Metz pour le nouveau Pompidou, mais aussi pour une expérience de concert très prometteuse : la diffusion de la composition Gaku-no-Michi (Les voies de la musique) par Jean-Claude Eloy, assisté d'Eric Cordier. Ce "film sans images pour sons électroniques et concrets" sera diffusé dans son intégralité, 4 heures, dans le noir, pour un public couché, avec des sons de préparation durant une demi-heure et des sons de prolongation jusqu'à ce que la salle soit vide. Je suis très heureux d'aller me plonger dans cette matière sonore car, l'année passée, la réédition de Gaku-no-Michi (par Hors Territoires), sous la forme d'un coffret de 4 disques, m'a réellement subjugué.
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Le compositeur français Jean-Claude Eloy a suivi l'enseignement d'Olivier Messiaen, Pierre Boulez, Karlheinz Stockhausen... Ses oeuvres ont été interprétées ou diffusées dans le monde entier. Gaku-no-Michi a été produit (voir les photos de Rieko Mae ci-dessus) à Tokyo en 1977-78 dans le studio de musique électronique de la radio NHK (Nippon Hoso Kyokai). Cette composition captivante est réalisée notamment à partir de sons captés au Japon : bruits de la rue de Tokyo, cérémonie commémorative annuelle d'Hiroshima... Le but poursuivi par le compositeur n'est bien entendu pas documentaire, ces sons étant manipulés, étirés, montés pour construire une fresque aux textures et couleurs très variées. Avec cette longueur et l'influence extrême-orientale, nul doute que l'oeuvre induise chez le spectateur un rapport au temps particulier. Immersion, contemplation (...), on se réjouit de vivre ça. Le concert est organisé par l'association Fragment, dont la programmation est très enthousiasmante.
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Ici, vous trouverez divers articles de presse liés aux premiers concerts et à l'édition en disque de Gaku-no-Michi, dont une interview de Jean-Claude Eloy par le cinéaste Chris Marker parue dans les Entretiens du Monde de la musique en décembre 1979.
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dimanche 13 février 2011

La ville comme héroïne

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Ce dimanche 20 février vers 20.00-20.30, je présenterai deux films lors de la séance hebdomadaire du Cercle du Laveu (Rue des Wallons, 45 à Liège - Laveu) : Berlin, symphonie d’une grande ville de Walter Ruttmann (1927) et A propos de Nice de Jean Vigo (1929) . La PAF est fixée à un euro.
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"La ville comme héroïne".
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Tout au long du 19e siècle, l’essor des centres urbains va de pair avec une perte des valeurs traditionnelles et un sentiment de plus en plus affirmé de l’anonymat de tout un chacun. Cette prise de conscience génère un trouble, une tension qui va être exorcisée par les artistes. C’est ainsi que durant les trois premières décennies du 20e siècle, la ville devient l’héroïne de nombreuses productions artistiques majeures. En littérature, c’est le cas avec les romans Ulysse de James Joyce (1922), Manhattan Transfer de John Dos Passos (1925) ou Berlin Alexanderplatz d’Alfred Döblin (1929). On peut également citer les mégapoles cauchemardesques des expressionnistes allemands, avec une mention spéciale à la géniale Metropolis (1916-1917) de George Grosz (Madrid, Musée Thyssen-Bornemisza) (voir ci-dessus). Dernier exemple majeur, Images de la grande ville, la suite de bois gravés par le Belge Frans Masereel en 1926 (voir également ci-dessus).
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Dans cette quête de sens et de formes afin de baliser le dédale des rues de nos grandes villes, les cinéastes ne sont pas en reste. On songe tout de suite, dans une veine science-fictionnesque, au Metropolis de Fritz Lang en 1927. Mais d’autres réalisateurs ont laissé plusieurs films, plus réalistes sans pour autant être moins poétiques, qui mettent l’urbanité au premier plan de leurs préoccupations. Le plus célèbre est probablement Dziga Vertov avec L’homme à la caméra en 1929. Dans cet opus dont la bravoure stylistique reste encore aujourd’hui époustouflante, Vertov filme le quotidien d’habitants anonymes d’Odessa et d’autres villes soviétiques. Dans le même registre, il faut citer Rien que les heures d’Alberto Cavalcanti (1926), Etudes sur Paris d’André Sauvage (1928), São Paulo, sinfonia da metropole d’Alberto Kemeny et Rudolf Rex Lustig (1929), La pluie de Joris Ivens (1929), Douro, faina fluvial de Manuel de Oliveira (1931) ou encore deux films perdus de Kenji Mizoguchi sur Tokyo. Cette énumération montre l’importance capitale de la thématique de la ville à la fin des années 1920.

Berlin, symphonie d’une grande ville de Walter Ruttman (1927) est un magnifique témoin de cette tendance. Souvent décrit comme la première « œuvre d’art totale » du cinéma, ce film rend compte de 24 heures de la vie de la ville allemande. L’objectif du réalisateur était de « créer une symphonie cinématographique à partir des millions d'énergies en mouvement présentes dans le mécanisme des grandes villes.»

A propos de Nice de Jean Vigo (1929) nous expose également différents aspects d’une ville, mais dans une veine peut-être moins objective et purement esthétisante que Berlin, symphonie d’une grande ville. En effet, Jean Vigo souligne ou intègre certains éléments rendant claire sa volonté de critique sociale. Le carnaval, la promenade des Anglais sont ainsi l’occasion de filmer mouvements et formes extravagantes, mais aussi de montrer toute la superficialité d’une station balnéaire déjà assujettie au Maître Tourisme.

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Comme complément pour les courageux qui auront lu jusqu'ici, je vous laisse en compagnie d'Emile Verhaeren avec L'âme de la ville, un des poèmes de ses Villes tentaculaires (1895).

"Les toits semblent perdus
Et les clochers et les pignons fondus,
Dans ces matins fuligineux et rouges,
Où, feu à feu, des signaux bougent.
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Une courbe de viaduc énorme
Longe les quais mornes et uniformes ;
Un train s'ébranle immense et las.
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Là-bas,
Un steamer rauque avec un bruit de corne.
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Et par les quais uniformes et mornes,
Et par les ponts et par les rues,
Se bousculent, en leurs cohues,
Sur des écrans de brumes crues,
Des ombres et des ombres.
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Un air de soufre et de naphte s'exhale ;
Un soleil trouble et monstrueux s'étale ;
L'esprit soudainement s'effare
Vers l'impossible et le bizarre ;
Crime ou vertu, voit-il encore
Ce qui se meut en ces décors,
Où, devant lui, sur les places, s'exalte
Ailes grandes, dans le brouillard
Un aigle noir avec un étendard,
Entre ses serres de basalte.
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O les siècles et les siècles sur cette ville,
Grande de son passé
Sans cesse ardent - et traversé,
Comme à cette heure, de fantômes !
O les siècles et les siècles sur elle,
Avec leur vie immense et criminelle
Battant - depuis quels temps ? -
Chaque demeure et chaque pierre
De désirs fous ou de colères carnassières !
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Quelques huttes d'abord et quelques prêtres :
L'asile à tous, l'église et ses fenêtres
Laissant filtrer la lumière du dogme sûr
Et sa naïveté vers les cerveaux obscurs.
Donjons dentés, palais massifs, cloîtres barbares ;
Croix des papes dont le monde s'effare ;
Moines, abbés, barons, serfs et vilains ;
Mitres d'orfroi, casques d'argent, vestes de lin ;
Luttes d'instincts, loin des luttes de l'âme
Entre voisins, pour l'orgueil vain d'une oriflamme ;
Haines de sceptre à sceptre et monarques faillis
Sur leur fausse monnaie ouvrant leurs fleurs de lys,
Taillant le bloc de leur justice à coups de glaive
Et la dressant et l'imposant, grossière et brève.
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Puis, l'ébauche, lente à naître, de la cité :
Forces qu'on veut dans le droit seul planter ;
Ongles du peuple et mâchoires de rois ;
Mufles crispés dans l'ombre et souterrains abois
Vers on ne sait quel idéal au fond des nues ;
Tocsins brassant, le soir, des rages inconnues ;
Flambeaux de délivrance et de salut, debout
Dans l'atmosphère énorme où la révolte bout ;
Livres dont les pages, soudain intelligibles,
Brûlent de vérité, comme jadis les Bibles ;
Hommes divins et clairs, tels des monuments d'or
D'où les événements sortent armés et forts ;
Vouloirs nets et nouveaux, consciences nouvelles
Et l'espoir fou, dans toutes les cervelles,
Malgré les échafauds, malgré les incendies
Et les têtes en sang au bout des poings brandies.
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Elle a mille ans la ville,
La ville âpre et profonde ;
Et sans cesse, malgré l'assaut des jours
Et des peuples minant son orgueil lourd,
Elle résiste à l'usure du monde.
Quel océan, ses cœurs ! quel orage, ses nerfs !
Quels nœuds de volontés serrés en son mystère !
Victorieuse, elle absorbe la terre,
Vaincue, elle est l'attrait de l'univers ;
Toujours, en son triomphe ou ses défaites,
Elle apparaît géante, et son cri sonne et son nom luit,
Et la clarté que font ses feux d'or dans la nuit
Rayonne au loin, jusqu'aux planètes!
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O les siècles et les siècles sur elle !
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Son âme, en ces matins hagards,
Circule en chaque atome
De vapeur lourde et de voiles épars,
Son âme énorme et vague, ainsi que ses grands dômes
Qui s'estompent dans le brouillard.
Son âme errante en chacune des ombres
Qui traversent ses quartiers sombres,
Avec une ardeur neuve au bout de leur pensée,
Son âme formidable et convulsée,
Son âme, où le passé ébauche
Avec le présent net l'avenir encore gauche.
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O ce monde de fièvre et d'inlassable essor
Rué, à poumons lourds et haletants,
Vers on ne sait quels buts inquiétants ?
Monde promis pourtant à des lois d'or,
A des lois claires, qu'il ignore encore
Mais qu'il faut, un jour, qu'on exhume,
Une à une, du fond des brumes.
Monde aujourd'hui têtu, tragique et blême
Qui met sa vie et son âme dans l'effort même
Qu'il projette, le jour, la nuit,
A chaque heure, vers l'infini.
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O les siècles et les siècles sur cette ville !
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Le rêve ancien est mort et le nouveau se forge.
Il est fumant dans la pensée et la sueur
Des bras fiers de travail, des fronts fiers de lueurs,
Et la ville l'entend monter du fond des gorges
De ceux qui le portent en eux
Et le veulent crier et sangloter aux cieux.
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Et de partout on vient vers elle,
Les uns des bourgs et les autres des champs,
Depuis toujours, du fond des loins ;
Et les routes éternelles sont les témoins
De ces marches, à travers temps,
Qui se rythment comme le sang
Et s'avivent, continuelles.
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Le rêve! il est plus haut que les fumées
Qu'elle renvoie envenimées
Autour d'elle, vers l'horizon ;
Même dans la peur ou dans l'ennui,
Il est là-bas, qui domine, les nuits,
Pareil à ces buissons
D'étoiles d'or et de couronnes noires,
Qui s'allument, le soir, évocatoires.
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Et qu'importent les maux et les heures démentes,
Et les cuves de vice où la cité fermente,
Si quelque jour, du fond des brouillards et des voiles,
Surgit un nouveau Christ, en lumière sculpté,
Qui soulève vers lui l'humanité
Et la baptise au feu de nouvelles étoiles."

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vendredi 11 février 2011

Le Quattro Volte

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Hier, vision très enthousiaste au cinéma du film de Michelangelo Frammartino Le Quattro Volte (2010). Entre essai poétique, documentaire rural et réflexion cinématographique sur l'écoulement du temps, le film expose sans établir de hiérarchie entre l'humain, l'animal et le minéral une certaine vision du cycle de la vie. Cette réalisation donne beaucoup à voir et à contempler : le quotidien et la mort d'un berger de Calabre, le destin d'un chevreau qui s'achèvera au pied d'un arbre majestueux, lequel sera lui-même abattu afin d'être utilisé comme mât lors d'une fête traditionnelle, puis comme matériau de base à la fabrication de charbon. Le charbon sera ensuite déposé chez les habitants du village, brûlé et partira en fumée. CQFD.
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Un des aspects du film que j'ai apprécié est son absence de pathos et de fausse compassion envers le monde paysan. Pas de réquisitoire, pas de constat amer sur telle ou telle autre problématique sociale. Pas d'exposé anthropologique non plus, de nombreux faits se décodant avec grand peine. Le but du réalisateur n'est apparemment pas de prendre le spectateur par les sentiments ou de lui apprendre quelque chose. Et ça fait du bien. La nostalgie que l'on peut ressentir ici n'est pas celle d'un monde naturel où tout serait beau et harmonieux, où l'homme prendrait et donnerait à l'environnement de manière équilibrée. Non, ce monde naturel est terrible, sa logique est implacable et il donne plus envie de retourner à l'état de minéral. Une pierre ou de la fumée qui s'échappe d'une cheminée, au moins, on lui fiche la paix.
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jeudi 10 février 2011

Vers les cimes (3)

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"Je ne suis pas venu au monde
pour forger des bras aux centaures,
pour donner mon sang aux mouchoirs
qui sèchent au clair de lune.
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Je ne suis pas venu au monde
pour combattre mon ombre,
ni pour trouver un jour mes poings
becquetés par les faisans.
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Je ne suis pas venu pour frapper
ni pour rire à la mort.
Je ne me souviens plus,
des civières s'en vont,
des galères flambent,
des genoux tremblent et des faucons se posent
sur des boules fragiles et vivantes.
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Si je regarde en arrière,
la mort s'en va à reculons,
indéfiniment des portes claquent
jusqu'aux placards de l'horizon.
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La mort au rire vulgaire
derrière ses persiennes vertes
suce un bonbon anglais
et les tapis sont mouillés de tisanes.
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Je ne suis pas venu au monde,
au commencement il n'y a qu'un grand rire,
au coin d'une rue une poupée de plâtre
ouvre, en suant une eau verte de rage,
des boîtes qui ne contiennent que des boîtes,
et sans fin des boîtes.
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Plus loin, comme un coeur suce le sang,
un trou dans une chair gigantesque m'aspire,
des murs vivants, rouges et chauds,
me traînent par la gorge,
je ne veux plus me retourner,
que tout à l'heure on m'assassine
d'un coup de couteau de cuisine
entre les deux épaules."
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René Daumal, La nausée d'être dans Le Contre-Ciel (1930) (Poésie/Gallimard, pp. 145-146).
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"Il courait, il courait, le malheureux,
sous la lune et dans les cendres,
son pied glissait sur les plages
et la forêt vierge arrachait ses cheveux.
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Il courait, il courait comme un fou,
gesticulant de ses longs membres noirs ;
la neige pénétrait son sang,
le sable sa cervelle.
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Dans chaque capitale il trouvait des amis
au fond d'un café des faubourgs,
ils l'embrassaient, lui donnaient de l'alcool,
des cigares et des femmes aux yeux bêtes.
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Il caressait leurs cheveux,
il mangeait une assiettée de soupe
et s'en allait, ses grands bras ridicules
levés vers un ciel gris et jaune.
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Ah ! qu'il en avait des amis, des amis,
de vrais amis de par le monde,
il courait, il courait sur les routes et les plages,
parce que ce n'était jamais cela.
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Il court encore, mes amis, mes amis,
ne prenez pas cet air stupide,
un oeil de trop, un nez de moins,
et chaque fois le tableau est manqué.
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Il court, il court, et dans les bars des faubourgs,
on discute de son cas ;
les piles d'assiettes tombent des bras des servantes,
chacun rentre chez soi seul, se mordant les lèvres.
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Il tourne, il tourne, mes amis,
à s'en rompre les artères."
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René Daumal, L'errant dans Le Contre-Ciel (1930) (Poésie/Gallimard, pp. 120-121).
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J'aime beaucoup la poésie de René Daumal (1908-1944). Il serait temps que je découvre ses textes en prose, notamment son Mont Analogue et sa Grande Beuverie. La photographie ci-dessus montre René Daumal quelques jours avant sa mort, le 19 mai 1944. Elle a été prise par Luc Dietrich (1913-1944) dont il faudrait aussi essayer l'Apprentissage de la ville et Le bonheur des tristes.
Addenda : je trouve que L'errant ressemble très très fort à une chanson de Dominique A que j'apprécie particulièrement : Hasta que le cuerpo aguante. Voilà, c'est dit.
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mercredi 9 février 2011

Les Noces

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J'ai enfin reçu le coffret des oeuvres d'Igor Stravinsky dirigées par le compositeur en personne. Pour la première fois, j'écoute Les Noces, des scènes chorégraphiques composées entre 1914 et 1923, et je suis abasourdi, vraiment. Ici et , on peut voir l'enregistrement du ballet en 2008 à Saint-Pétersbourg. Et c'est la bonne occasion pour montrer ce magnifique portrait du compositeur dessiné en 1920 par Pablo Picasso (Paris, Musée Picasso).
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