dimanche 31 octobre 2010

Epiphonie # 8

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Le samedi 6 novembre, journée chargée pour l'asbl Epiphonie, qui recevra Joseph Ghosn et TG, pour un concert aux accents électroniques dès 20 h à la chapelle Saint-Roch en Volière. Avant cela, à 18h30 à la librairie Livre aux trésors, vous pourrez assister à une discussion autour du roman graphique avec Joseph Ghosn.
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Joseph Ghosn est journaliste, dessinateur,et musicien (entre autres). Il a été rédacteur en chef adjoint des Inrockuptibles (de 2000 à 2008), et est actuellement rédacteur web pour le groupe Condé Nast, participe épisodiquement à diverses revues et tient quotidiennement un blog ou il parle de ses vastes passions musicales, graphiques et littéraires.
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Il a par ailleurs publié deux ouvrages aux éditions le mot et le reste : La Monte Young, une biographie suivie d'une introduction à la musique minimaliste, ainsi que Romans Graphiques : 101 propositions de lecture des années soixante à deux mille, et tout dernièrement Mahogany Brain aux éditions Caedere.

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On peut apprécier son travail de dessinateur en collaboration avec Charles Berberian et Philippe Dupuy dans la revue Impossible (et dont une exposition était visible à la galerie OFR à Paris ce mois de juin dernier).
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Il exprime sa passion pour la musique au travers des deux formations, Class of 69 et Discipline (parfois avec Charles Berberian à la guitare). Pour son projet Beyrouth, il joue en live électronique sur la projection d'un montage de films de famille réalisés par son père dans la ville durant les années 70. Pour le projet Total Sun Ra, il mixe des disques de Sun Ra tandis que le dessinateur Blutch illustre la performance en direct.
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Sous le pseudonyme Discipline, il nous présentera une musique électronique, composée au laptop, moog et autres synthés. Des ambiances, de l'immersion totale, du drone, des images et à défaut de mieux le dire, je cite Dorothée Smith : "On peut ainsi percevoir quelques réminiscences reichiennes dans ces nappes sépulcrales qui hantent ces compositions rythmées par de sourdes pulsations et des superpositions de textures accidentées. Ses précédents opus sont ainsi hantés par ce que leur auteur appelle des drones, de sourds vrombissements qui évoluent d'un murmure à un bourdonnement rythmique, et forcent l'auditeur à s'intéresser au moindre détail, au moindre souffle perdu, toujours porteurs de sens. Difficilement assimilables à des oeuvres existantes, les compositions de Discipline se déploient dans une forme de minimalisme lent et progressif qui pourrait paraître sombre s'il n'était ponctué par des mélodies qui ont quelque chose à voir avec l'effleurement."
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Thibault Gondard n’est pas le dernier des inconnus. Sous son pseudonyme de TG, il a sorti quantité de disques sur des labels aussi prestigieux que Les Potagers Natures (Radikal Satan, le Ton Mité, …) et Ruminance (Chevreuil, Cheval de Frise, Ulan Bator, …). Non content d’avoir été le fer de lance de la génération rave party, il désacralise en ce moment les nouveaux rituels de la pop française pour y intégrer quelques éléments de musique électronique qui font encore une fois la différence. Confidences : TG nous prépare quelque chose de spécial pour l'occasion et la guitare sera de retour.
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Avant le concert, de 18h30 à 19h30, en partenariat avec nos amis de la librairie Livre aux trésors (que nous remercions ici encore), nous vous convions à une discussion autour du roman graphique avec Joseph Ghosn, animée par Erwin Dejasse de l'université de Liège. L'entrée est gratuite, et cela se passe à la librairie (rue Sébastien Laruelle, 4 à Liège). Venez nombreux.

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Le concert se déroulera à la chapelle Saint-Roch en Volière, ouverture dès portes à 20h, premier concert à 20h30. Paf 6 €. Venez nombreux également !
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Le texte et l'affiche sont repris du site d'Epiphonie.
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jeudi 28 octobre 2010

Densités

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Ma visite en Lorraine était bien évidemment liée au festival Densités, qui, comme l'année passée a largement comblé mes attentes. Bon accueil, programmation éclectique et pointue, belles assiettes de fromages et vin blanc succulent. Parmi une foule de bons moments, je retiendrai l'affrontement amical des deux contrebassistes Clayton Thomas et Mike Majkowski, les textures riches et poétiques de John Butcher, Axel Dörner et Xavier Charles, l'engourdissement de la Trilogie de la Mort d'Eliane Radigue ou encore les vibrations et attaques de Kevin Drumm. Surtout, j'aurais découvert Jean-François Laporte, un compositeur et inventeur d'instruments québécois venu diffuser ses fascinantes pièces Mantra et Waves (on en parle bientôt un peu plus en détails) et j'aurais à nouveau été renversé par une pièce de Lionel Marchetti (on en parle aussi bientôt), en invité surprise le premier soir. Bien sûr, j'y retourne l'année prochaine.
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mercredi 27 octobre 2010

Et devant l'Univers on vous condamnera

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Un petit week-end en Lorraine m'a permis de passer sur un haut lieu de la Grande Guerre situé non loin de Verdun : la crête des Eparges. D'après ce que j'ai pu lire ça et là, les combats y furent effroyables. D'ailleurs, presque 100 ans plus tard, le paysage en porte toujours les stigmates (voir la première photo ci-dessus). Les immenses entonnoirs qu'on y voit toujours résultent de l'explosion de mines. La possession de cet endroit stratégique, dominant la plaine, permettait le contrôle de l'artillerie sur une large zone. Les nombreux monuments aux morts, le cimetière, les bunkers et ces photographies cultivent la mémoire d'une Histoire dure et pourtant si éloignée de nous. La nature riche et verdoyante a d'ailleurs recouvert les ossements et autres restes macabres. Cela n'empêche pas de s'y balader avec un étrange sentiment de perte et de mélancolie. Pour l'anecdote, le romancier Alain Fournier y a été porté disparu en septembre 1914. Pour sa part, Ernst Jünger y reçut sa première blessure, comme il le raconte dans Orages d'acier. Ci-dessous, je vous livre le poème d'un réserviste français du 106e régiment d'infanterie, trouvé ici :
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"La crête des Eparges

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Vous vous plaignez, bandits : croyez vous donc, vous autres,

Que votre sort était plus mauvais que le nôtre ;

Et si pendant six mois, dans la boue, sous le froid,

Nous avons résisté ayant l’onglée aux doigts,

C’est que dans notre cœur nous avons l’Espérance

De vous chasser du sol de notre douce France.

Vous repousser chez vous, désireux qu’à la fin

Redeviennent français la Lorraine et le Rhin.

Imitant nos aïeux chantant la marseillaise ,

Comme eux nous nous battons, crâneurs, « à la française »

Dédaignant malgré tout vos façons d’assassins,

De la « Hauteur de Combres » et du bois de sapins

Nous vous avons chassés, ajoutant dans l’Histoire

Au prix de notre sang, une page de gloire.

C’était l’Enfer !…Vraiment… Ce n’était pas assez

Pour les crimes sans nom que nous devons venger :

Car pour vous tout est bon, le vol et l’incendie

Cruels vous commettez toutes les infamies ;

Mais bientôt d’expier, l’heure enfin sonnera,

Et devant l’Univers on vous condamnera.

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10 mai 1915"

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vendredi 22 octobre 2010

L'usage du monde

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On achève la vision des films documentaires compris dans le premier coffret d'une nouvelle collection du Musée du Quai Branly intitulée L'usage du monde (édité par les Editions Montparnasse). Cette collection est dirigée par le très estimable ethnologue et réalisateur Stéphane Breton (dont on recommande les magnifiques films Eux et moi et Le ciel dans un jardin, sur les Papous de Nouvelle-Guinée). Cinq films d'un peu moins une heure composent cette première édition : Les hommes de la forêt 21 de Julien Samani, Lumière du Nord de Serguei Loznitsa, L'argent du charbon de Wang Bing et enfin La Maison vide et La Montée au ciel de Stéphane Breton lui-même.
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Ces films sont de réelles réussites d'abord parce qu'ils ne sont pas pédagogiques. Pas de commentaire, pas d'introduction, les habituels artifices explicatifs sont ignorés au profit d'une démarche plus cinématographique que scientifique. Le propos de l'auteur est transmis via le cadrage, le montage et l'implication du filmeur dans la réalité qu'il tente de capter. En effet, aucun de ces réalisateurs n'essaie de nous faire croire qu'il est extérieur au "réel". La présence du cinéaste altère le cours "normal" des choses, mais c'est cette expérience qui crée de la relation et du cinéma. On est ici très loin d'une certaine tradition entomologique du documentaire où les hommes, envisagés de loin et de haut, paraissent s'agiter tels de vulgaires insectes.
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Ces films fascinent aussi car comme l'annonce la jaquette du coffret, ils nous emmènent dans "les plis et les ourlets du monde moderne" : des zones industrielles, un village perdu au Népal, quelques bicoques sales et désolées au Nouveau Mexique. Plutôt que d'essayer de capter des "évènements", les réalisateurs se perdent dans le quotidien, banal mais extraordinaire : conversations mélancoliques avec de vieux alcooliques au Nouveau Mexique (La Maison vide), disputes autour du prix du charbon (L'Argent du charbon) ou autour de l'endroit où l'on peut ou non déféquer dans le village (La Montée au ciel).
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L'exotisme est mort, mais comme l'ont compris d'autres visionnaires proches, les Nicolas Bouvier (dont le récit de voyages paru en 1963 a d'ailleurs donné son nom à la collection), Jean Rolin ou Johan van der Keuken, tout humain ou groupe d'humains, où qu'il se trouve, recèlera toujours sa part de mystère et de beauté. Je ne pourrai pas terminer cette note sans mentionner la manière elliptique et poétique de l'éditeur de présenter les films. Par exemple, pour La Montée au ciel : "Au creux d’une vallée du Népal, au bout d’un chemin usé par tant de siècles et tant de pieds, se trouve un village de brahmanes : merde à tous les coins de rue, pureté des cœurs, éblouissement." On souhaite vivement une suite à cette entreprise.
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lundi 18 octobre 2010

Secousses telluriques et lumières flamboyantes

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Ce mercredi 27 octobre, Epiphonie a le plaisir de vous inviter à la capitale où, pour la première fois, elle programme une soirée en collaboration avec le Magasin 4. Le programme est composé de trois groupes d'exception : Sister Iodine, Sick Llama et Demons. Bruit, psychédélisme, secousses telluriques et lumières flamboyantes seront au rendez-vous, rien de moins. La P.A.F. est fixée à 7 euros. Venez nombreux !
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Demons a d'abord été un duo composé de Nate Young (le fondateur de Wolf Eyes !) et de Steve Kenney, tous les deux au synthétiseur. En 2006, la vidéaste Alivia Zivich les a rejoints afin d'illustrer par l'image une musique psychédélique plus proche des BO de films d'horreur 70s et des créations des pionniers de la musique électronique (Cluster, Stockhausen) que des habituels murs du sons de la Noise. Cette 'Visual Music' s'adresse aux sens : vibrer et voir, sans aucun doute. Life Destroyer ici et Head Three Ways .
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Sick Llama, alias Heath Moerland, est originaire du Michigan et contribue depuis quelques années à la propagation d'une scène Noise tentaculaire et mystérieuse. Sur son label Fag Tapes, il a sorti un peu moins de 300 albums (principalement sur K7), la plupart du temps de ses propres réalisations, mais aussi de celles de Wolf Eyes, Emeralds etc. Sur scène, Sick Llama travaille le son à l'aide d'une clarinette, de bandes et d'un dispositif avec lesquels il élabore déflagrations polychromes et échos vengeurs.
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Sister Iodine est à juste titre un des groupes les plus réputés de la scène No Wave-Noise française. Formé au début des années 1990, le groupe a construit une musique abrasive et dangereuse, en alliant une énergie rock avec des expérimentations héritées de la musique concrète. Son fan club est notamment composé des membres de Sonic Youth qui les ont plusieurs fois invité en première partie de leurs concerts. Sister Iodine a édité son dernier album Flame Desastre sur le fameux label Mego (Jim O'Rourke, KTL, Fennesz, etc). Sister Iodine à la Villette Sonique ici et avec Lee Ranaldo (Sonic Youth) .
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L'affiche a été conçue par Hendrik Hegray, illustrateur parisien, créateur du Nazi Knife.
Merci à lui, merci à Ben, merci au Magasin 4.
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vendredi 15 octobre 2010

L'onde et l'ombre

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"Un homme à la mer!

Qu'importe! le navire ne s'arrête pas. Le vent souffle, ce sombre navire-là a une route qu'il est forcé de continuer. Il passe.

L'homme disparaît, puis reparaît, il plonge et remonte à la surface, il appelle, il tend les bras, on ne l'entend pas; le navire, frissonnant sous l'ouragan, est tout à sa manœuvre, les matelots et les passagers ne voient même plus l'homme submergé; sa misérable tête n'est qu'un point dans l'énormité des vagues.

Il jette des cris désespérés dans les profondeurs. Quel spectre que cette voile qui s'en va! Il la regarde, il la regarde frénétiquement. Elle s'éloigne, elle blêmit, elle décroît. Il était là tout à l'heure, il était de l'équipage, il allait et venait sur le pont avec les autres, il avait sa part de respiration et de soleil, il était un vivant. Maintenant, que s'est-il donc passé? Il a glissé, il est tombé, c'est fini.

Il est dans l'eau monstrueuse. Il n'a plus sous les pieds que de la fuite et de l'écroulement. Les flots déchirés et déchiquetés par le vent l'environnent hideusement, les roulis de l'abîme l'emportent, tous les haillons de l'eau s'agitent autour de sa tête, une populace de vagues crache sur lui, de confuses ouvertures le dévorent à demi; chaque fois qu'il enfonce, il entrevoit des précipices pleins de nuit; d'affreuses végétations inconnues le saisissent, lui nouent les pieds, le tirent à elles; il sent qu'il devient abîme, il fait partie de l'écume, les flots se le jettent de l'un à l'autre, il boit l'amertume, l'océan lâche s'acharne à le noyer, l'énormité joue avec son agonie. Il semble que toute cette eau soit de la haine.

Il lutte pourtant, il essaie de se défendre, il essaie de se soutenir, il fait effort, il nage. Lui, cette pauvre force tout de suite épuisée, il combat l'inépuisable.

Où donc est le navire? Là-bas. A peine visible dans les pâles ténèbres de l'horizon.

Les rafales soufflent; toutes les écumes l'accablent. Il lève les yeux et ne voit que les lividités des nuages. Il assiste, agonisant, à l'immense démence de la mer. Il est supplicié par cette folie. Il entend des bruits étrangers à l'homme qui semblent venir d'au delà de la terre et d'on ne sait quel dehors effrayant.

Il y a des oiseaux dans les nuées, de même qu'il y a des anges au-dessus des détresses humaines, mais que peuvent-ils pour lui? Cela vole, chante et plane, et lui, il râle.

Il se sent enseveli à la fois par ces deux infinis, l'océan et le ciel; l'un est une tombe, l'autre est un linceul.

La nuit descend, voilà des heures qu'il nage, ses forces sont à bout; ce navire, cette chose lointaine où il y avait des hommes, s'est effacé; il est seul dans le formidable gouffre crépusculaire, il enfonce, il se roidit, il se tord, il sent au-dessous de lui les vagues monstres de l'invisible; il appelle.

Il n'y a plus d'hommes. Où est Dieu?

Il appelle. Quelqu'un! quelqu'un! Il appelle toujours.

Rien à l'horizon. Rien au ciel.

Il implore l'étendue, la vague, l'algue, l'écueil; cela est sourd. Il supplie la tempête; la tempête imperturbable n'obéit qu'à l'infini.

Autour de lui, l'obscurité, la brume, la solitude, le tumulte orageux et inconscient, le plissement indéfini des eaux farouches. En lui l'horreur et la fatigue. Sous lui la chute. Pas de point d'appui. Il songe aux aventures ténébreuses du cadavre dans l'ombre illimitée. Le froid sans fond le paralyse. Ses mains se crispent et se ferment et prennent du néant. Vents, nuées, tourbillons, souffles, étoiles inutiles! Que faire? Le désespéré s'abandonne, qui est las prend le parti de mourir, il se laisse faire, il se laisse aller, il lâche prise, et le voilà qui roule à jamais dans les profondeurs lugubres de l'engloutissement.

O marche implacable des sociétés humaines! Pertes d'hommes et d'âmes chemin faisant! Océan où tombe tout ce que laisse tomber la loi! Disparition sinistre du secours! Ô mort morale!

La mer, c'est l'inexorable nuit sociale où la pénalité jette ses damnés. La mer, c'est l'immense misère.

L'âme, à vau-l'eau dans ce gouffre, peut devenir un cadavre. Qui la ressuscitera?"

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L'onde et l'ombre, chapitre VIII du livre II de la première partie des Misérables (1862) de Victor Hugo (photographié par Nadar ci-dessus en 1878 - en dessous, un dessin à l'encre par l'écrivain lors de son exil à Guernesey)
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