samedi 20 février 2010

Wind

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Le célèbre vent fouettant les étendues désolées de Patagonie a fait l'objet d'un magnifique disque par Francisco Lopez : Wind (Patagonia) (and/OAR, 2007). Une seule longue plage offre à l'auditeur "an extreme phenomenological immersion led by anti-rationality and anti-purposefulness" (d'après Lopez lui-même). La force sonore de ce vent naît de sa rencontre avec le paysage. Sa puissance d'évocation est double. D'une part, il constitue une matière enveloppante, toute en drones grondants et variations aléatoires. Il capte l'attention et fait retenir le souffle de qui veut bien se laisser happer par sa beauté. Par ailleurs, et comme nombre de phénomènes naturels spectaculaires, il évoque quelque chose d'incompréhensible, de presque terrible. Sa capacité à fasciner est également due au sentiment de solitude et de désolation qu'il provoque lorsque l'on pense à l'immensité, souvent vide et décharnée, parcourue par ses souffles.
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Le texte The Sublime and the Sonic Life of Nature du philosophe Christoph Cox (à qui on doit toutes les infos qui suivent) est intégré au livret accompagnant le disque. Dans cet essai éclairant, l'auteur nous explique qu'esthétiquement, Wind fait référence à la tradition ancienne des harpe et flute éoliennes, instruments qui domestiquent, humanisent et rendent le vent musical. Cependant, le projet de Lopez, en insistant sur l'intensité et l'impact du vent lui-même, s'intéresse plus à sa force élémentaire et à sa puissance non-humaine. La différence entre ces deux approches et sensibilités, c'est-à-dire la distinction entre le 'beau' et le 'sublime', a été théorisée dès le 18e siècle, notamment par Edmund Burke et Emmanuel Kant.
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Le beau offrirait un plaisir positif, un agrément esthétique résidant dans des formes et couleurs qui sont déterminées, harmonieuses et qui sont conçues dans le cadre de l'imagination humaine. Le sublime par contre procurerait un plaisir plus ambigu, mêlé à la douleur et la tension résultant de l'indétermination de formes excédant la compréhension humaine. La notion de sublime, d'après Burke et Kant, s'appliquerait dès lors parfaitement à la puissance des tempêtes, volcans et autres montagnes. D'après Christoph Cox, les vents patagoniens de Lopez auraient également cette beauté féroce et cette immensité : "And all of this produced by an invisible force that endlessly sweeps the surface of the globe. With this, we are no longer in the tidy world of human music, but have entered the sublime domain of natural sound."
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Je trouvais ces conceptions particulièrement intéressantes pour mieux comprendre l'intérêt pour l'enregistrement des milieux naturels. Pour aller plus loin, voir notamment l'article Environmental Sound Matter par Francisco Lopez. Sur le vent, écouter également les très beaux Wind et Storm de BJ Nilsen et Chris Watson (2001 et 2006).
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