mercredi 12 août 2009

De l'heureuse pérennité du "Bruit"

John Cage, Variations III No. 14, 1992, Crown Point Press.
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"La musique à percussion est une révolution. Son et rythme ont été trop longtemps soumis aux restrictions de la musique du XIXe siècle. Nous luttons aujourd'hui pour leur émancipation. Demain, les oreilles pleines de musique électronique, nous entendrons la liberté.
Au lieu de nous donner des sons nouveaux, les compositeurs du XIXe siècle nous ont donné des arrangements sans fin de sons anciens. Nous avons branché des radios et toujours su quand nous étions tombés sur une symphonie. Le son a toujours été le même, et il ne s'est pas manifesté la moindre curiosité quant aux possibilités du rythme. Pour trouver des rythmes intéressants on a écouté du jazz.
Au stade actuel de la révolution, une saine anarchie se justifie. L'expérience doit nécessairement se poursuivre en tapant sur n'importe quoi - casseroles, bols à riz, tuyaux de fer -, tout ce qui tombe sous la main. Non seulement en tapant, mais en frottant, martelant, produisant des sons de toutes les manières possibles. En bref, il faut explorer les matériaux de la musique. Ce qu'on ne peut pas faire soi-même sera fait par les machines et les instruments électriques qu'on inventera.
Les objecteurs de conscience de la musique moderne tenteront, naturellement, n'importe quoi en fait de contre-révolution. Les musiciens n'admettront pas que nous faisons de la musique ; ils diront que nous nous intéressons à des effets superficiels, ou, tout au plus, imitons la musique orientale ou primitive. Les sons nouveaux ou originaux seront marqués "bruit". Mais notre réponse commune à toute critique doit être de continuer à travailler et à écouter, de faire de la musique avec les matériaux, son et rythme, qui lui reviennent, d'ignorer la structure encombrante, mal équilibrée des interdits musicaux. (...)"
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Cet extrait est issu du texte de John Cage But : Musique nouvelle, Danse nouvelle lui-même tiré d'une série d'articles intitulée La musique à percussion et ses rapports avec la danse moderne parue dans Dance Observer en 1939. Il a été écrit à Seattle où John Cage dirigeait alors un ensemble pour percussion. On peut trouver cette traduction dans le recueil de discours et écrits Silence, paru en langue originale en 1961 et en français en 1970 aux Editions Denoël. Ce classique du génial compositeur, à la frontière de l'essai, de la poésie et de la composition musicale, où l'on trouve des textes aussi bien sur Erik Satie, Marcel Duchamp que sur la danse ou la mycologie, a été réédité chez le même éditeur en 2004.
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