mardi 12 mai 2009

A part cela - qui est peu - Rien

Paul Signac, Portrait de Félix Fénéon, New York, Museum of Modern Art.
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Dans Artistes sans œuvres. I would prefer not to, paru aux éditions Hazan en 1997 et tout récemment réédité aux éditions Verticales, Jean-Yves Jouannais propose une histoire alternative de la littérature et de l'art du XXe siècle en s'intéressant à des "cas" d'artistes n'ayant rien (ou très peu) produit. Nombre de ces créateurs du siècle dernier ont eu une influence décisive, malgré une œuvre marquée par l'effacement, la déception ou l'absence.
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On connaît ainsi le cas de Jacques Vaché, surréaliste avant la lettre dont on a conservé uniquement quelques lettres, adressées entre autres à André Breton et dont l'influence sur ce dernier fut apparemment décisive. Dans son manifeste de 1924, Breton écrit en effet : "Vaché est surréaliste en moi." Il est décédé en 1919 dans une chambre d'hôtel à Paris après avoir pris de l'opium. Parmi bien d'autres, Jouannais raconte également avec enthousiasme la vie d'Arthur Cravan, poète, boxeur et danseur disparu au large du Golfe du Mexique en 1918 après avoir insulté Guillaume Apollinaire et d'autres artistes parisiens, programmé son suicide en public et boxé jusqu'au KO avec le champion du monde Jack Johnson !
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Autre exemple, Félix Fénéon aura collaboré à des journaux de tendance anarchiste avant d'être accusé d'avoir provoqué un attentat à Paris le 4 avril 1894, ce dont il sera acquitté malgré son attitude hautaine et ironique durant le procès. On lui doit des magnifiques Nouvelles en trois lignes, d'un humour noir cinglant et dévastateur (exemple : "Le cadavre du sexagénaire Dorlay se balançait à un arbre, à Arcueil, avec cette pancarte : "Trop vieux pour travailler."") Participant à de nombreuses revues artistiques, il aura finalement révélé et défendu Rimbaud, Laforgue, Mallarmé ou encore Jarry.
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Un des leitmotivs de Jouannais est son agacement face aux "grossistes de l'art". Il écrit par exemple : "Trop de créateurs (...) s'évertuent à maintenir la cadence, à usiner leurs œuvres comme autant de preuves de leur statut d'artiste. Tandis que bien des artistes véritables se passent de cette publicité souvent vulgaire, et passent leur génie sous silence." (p. 66) Cette perspective anti-productiviste l'amène ainsi à écrire de magnifiques pages sur Marcel Duchamp, le dandysme ou encore l'art conceptuel. On doit la préface à Enrique Vila-Matas, dont l'intérêt pour ces artistes du "renoncement" est au centre de plusieurs de ses ouvrages comme Bartleby et compagnie ou Abrégé d'histoire de la littérature portative.
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Le titre de ce post, utilisé comme nom d'un des chapitres de l'essai de Jouannais, est issu d'un courrier de Jacques Vaché.
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